La phrase résonna sous le dôme blanc du capitole de Montgomery, en Alabama, le 14 janvier 1963: «Au nom du plus grand peuple qui ait jamais foulé cette terre, je trace une ligne dans le sable et je jette mon gant au pied de la tyrannie. Et je dis: ségrégation aujourd'hui, ségrégation demain, ségrégation toujours!»

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La promesse de George Wallace, formulée lors de son discours d'investiture à titre de gouverneur de l'État du Sud, n'eut pas l'effet escompté. Malgré la violence physique de ses supporteurs, des étudiants noirs finirent par entrer à l'Université de l'Alabama, mettant fin à la ségrégation dans les écoles de l'Alabama.

Mais une certaine ségrégation n'a pas encore dit son dernier mot aux États-Unis. Et les images des affrontements des derniers jours entre policiers et manifestants de Ferguson, au Missouri, ressemblaient parfois de façon frappante à celles qui émanèrent de Birmingham, en Alabama, au début des années 60.

Comment expliquer que dans une ville américaine de 21 000 habitants, dont 67% d'Afro-Américains, le corps policier soit composé de 53 Blancs et seulement 3 Noirs? Comment se fait-il que cette ville soit dirigée par un maire blanc et cinq conseillers municipaux blancs sur six?

Et à quoi attribuer l'hostilité entre la population afro-américaine de Ferguson et ses policiers? Hostilité qui, faut-il préciser, a peut-être joué un rôle crucial dans l'altercation entre l'agent Darren Wilson et Michael Brown, abattu par le policier.

La réponse la plus rapide et évidente aux deux premières questions est que les Noirs de Ferguson n'exercent pas le droit de vote pour lequel les militants des droits civiques se sont battus dans les années 50 et 60 à Birmingham et dans plusieurs autres villes du sud des États-Unis. La municipalité située dans la banlieue nord de St. Louis ne recueille pas de données sur la participation électorale par groupes raciaux. Mais seulement 12,3% des électeurs admissibles se sont rendus aux urnes lors du dernier scrutin municipal. Or, en règle générale, plus un taux de participation électorale est bas, plus l'électorat tend à être blanc et conservateur.

Une chose est certaine: les maires et les chefs de police blancs de Ferguson n'ont pas procédé à des embauches de policiers susceptibles de refléter la transformation démographique de leur ville, dont la population était blanche à 85% en 1980.

Mais il existe des réponses plus complexes aux questions précédentes. L'une d'elles explique pourquoi la région métropolitaine de St. Louis arrive au neuvième rang des régions métropolitaines américaines où subsiste la plus grande ségrégation raciale, selon une étude de l'Université Brown.

Cette ségrégation découle en bonne partie de lois ou de pratiques locales qui ont empêché les Noirs de participer au mouvement des Blancs vers la banlieue et d'accéder à la propriété, comme l'a démontré Colin Gordon, professeur d'histoire à l'Université d'Iowa, dans un livre intitulé Mapping Decline: St. Louis and the Fate of the American City.

Le fédéral fait partie du problème

Le gouvernement fédéral a lui-même contribué à ce phénomène national en mettant sur pied des programmes d'assurances hypothécaires dont les Noirs ont souvent été exclus pour diverses raisons discriminatoires.

À St. Louis, une partie de la population afro-américaine a commencé à migrer dans les années 70 vers les villes de la banlieue nord, fondées avant l'adoption de règlements interdisant la construction d'immeubles à logements multiples. Ils s'y sont installés comme locataires et le sont souvent restés, n'ayant pas les moyens de devenir propriétaires.

Leur arrivée dans des villes comme Ferguson a provoqué une fuite de la population blanche mais ne s'est pas traduite par un changement de garde politique.

Les affrontements entre manifestants et policiers de Ferguson ont par ailleurs semblé donner raison à au moins une thèse défendue par l'universitaire afro-américaine Michelle Alexander dans The New Jim Crow, un best-seller publié en 2010.

L'expression «Jim Crow» fait référence à l'ensemble des lois et attitudes ségrégationnistes des États du Sud. Dans son livre, Alexander fait valoir qu'un «nouveau Jim Crow» est apparu aux États-Unis à la faveur de la «guerre à la drogue» déclenchée sous Richard Nixon et amplifiée par Ronald Reagan. Cette guerre, note-t-elle, a notamment mené le gouvernement fédéral à acheminer vers les municipalités des milliards de dollars qui ont permis aux plus modestes d'entre elles de doter leur police d'équipements dignes d'une armée.

Difficile de croire que ce n'est pas le cas de Ferguson.

Mais Alexander va plus loin, estimant que cette guerre à la drogue a contribué à faire des Afro-Américains des citoyens de deuxième classe qui sont ciblés par la police et incarcérés de façon disproportionnée. Tel est le «nouveau Jim Crow», selon elle.

«Aujourd'hui, il y a davantage d'Afro-Américains dans le système pénitentiaire, en prison ou en liberté conditionnelle, qu'il y avait d'esclaves en 1850», écrit l'universitaire.

Difficile de ne pas croire que cette réalité n'ait pas pesé dans les réactions de jeunes Noirs après la mort de Michael Brown.