Alors que le nombre de demandes de renseignements adressées aux firmes de télécommunications soulève la polémique au Canada, la justice américaine resserre ses exigences afin d'éviter que des citoyens ne soient abusivement espionnés par l'entremise de leur téléphone.

Dans un jugement rendu il y a quelques jours, la Cour d'appel fédérale du 11e circuit vient de statuer que les corps policiers aux États-Unis ne devraient plus pouvoir accéder aussi facilement que par le passé aux données de localisation générées par l'appareil d'un présumé criminel.

Ils peuvent traditionnellement obtenir ces informations sensibles en convainquant un magistrat qu'il est «raisonnable» de croire qu'elles sont «pertinentes» pour une enquête en cours.

«C'est très facile pour un policier de prétendre, sans sourciller, que les données qu'il convoite sont pertinentes pour son enquête», explique en entrevue Nathan Freed Wessler, un avocat de l'American Civil Liberties Union (ACLU).

La décision rendue la semaine dernière forcera, dit-il, les enquêteurs à démontrer, pour obtenir un mandat, qu'ils ont identifié des «faits réels» semblant incriminer l'individu ciblé et qu'ils ont de bonnes raisons de croire que l'étude de ses données téléphoniques permettra d'étayer leurs convictions.

Ces exigences, dit M. Wessler, recoupent les dispositions du 4e amendement de la Constitution américaine protégeant les citoyens du pays contre toute fouille abusive.

«C'est un pas de géant pour protéger notre droit à la vie privée» dans l'ère électronique, souligne le représentant de l'ACLU, qui s'attend à ce que la jurisprudence ainsi créée ait rapidement des échos à l'échelle du pays.

Les corps policiers américains utilisent depuis longtemps les données de localisation générées par les téléphones cellulaires - qui sont stockées par les opérateurs - pour suivre des individus suspects en temps réel ou reconstituer a posteriori leurs allées et venues afin de les incriminer.

Dans la cause à l'origine du jugement, qui ciblait un présumé voleur, les enquêteurs ont obtenu 11 606 points de localisation sur une période de 67 jours permettant de démontrer qu'il se trouvait aux moments-clés à proximité de plusieurs établissements dévalisés.

L'accusé en question, Quartavious Davis, qui a été condamné à une lourde peine de prison, avait tenté de faire valoir que la justice avait contrevenu aux protections prévues dans le 4e amendement.

Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, dont l'ACLU, sont intervenues comme tierce partie dans la cause dans l'espoir de mieux baliser l'accès aux données de localisation.

Le panel de trois juges de la Cour d'appel fédérale, qui a maintenu la condamnation de l'accusé, a justifié ses exigences accrues relativement aux données téléphoniques en évoquant l'aperçu détaillé des us et coutumes d'un individu qu'ils peuvent procurer.

«Le téléphone cellulaire d'un individu, contrairement à sa voiture, peut le suivre partout» et permet de déterminer les lieux qu'il fréquente, donnant potentiellement des informations sur ses associations familiales, politiques, professionnelles ou religieuses.

1 million de demandes

L'accès aux «métadonnées» téléphoniques est populaire auprès des corps policiers américains, qui ont fait en 2012 plus de 1 million de demandes de cette nature à des firmes téléphoniques. Les trois principales entreprises du pays ont précisé qu'elles avaient reçu 56 400 demandes «urgentes» ne faisant l'objet d'aucun mandat.

La pratique est aussi fréquente au Canada. L'ex-commissaire à la protection de la vie privée Chantal Bernier a sonné l'alarme à ce sujet au printemps en relevant que les firmes de télécommunications du pays recevaient chaque année plus de 1,2 million de demandes de renseignements d'agences gouvernementales variées. Elle n'a pas précisé la nature exacte des informations demandées.

En écho à la polémique suscitée par ces révélations, des entreprises téléphoniques ont produit des rapports publics détaillant leur interaction avec les autorités.

Rogers a notamment précisé la semaine dernière avoir reçu 175 000 demandes de renseignements des autorités gouvernementales et policières en 2013. Un peu moins de 75 000 demandes étaient appuyées par un mandat ou un ordre de la cour.

Dans une cause apparentée résumée par La Presse Canadienne, la Cour suprême du Canada a statué vendredi que la police devait posséder un mandat avant de s'adresser à un fournisseur d'accès à l'internet pour obtenir des renseignements personnels sur un client.

Un Canadien condamné en 2007 pour le chargement de photos et de vidéos de pornographie infantile dénonçait le fait que son fournisseur d'accès ait transmis son identité aux autorités alors qu'aucun mandat n'avait été obtenu.