La Cour suprême américaine, écartelée entre protection de la vie privée et nécessité impérieuse de confondre un suspect, a bataillé mardi pour trouver un moyen de limiter les fouilles de téléphones portables conduites par des policiers sans mandat lors d'arrestations impromptues.

L'affaire n'est pas anodine, quand plus de 90% des Américains possèdent un téléphone portable et douze millions d'arrestations ont lieu chaque année dans le pays, souvent pour un motif mineur.

Le 4e Amendement de la Constitution protège les Américains de toute «saisie et fouille injustifiées», autrement dit la police doit au préalable obtenir un mandat de la justice, sauf lorsque la vie d'un policier est en danger et qu'il faut agir vite.

Les neuf juges de la plus haute juridiction du pays doivent dire si les principes de ce 4e Amendement s'appliquent aux téléphones portables, susceptibles de contenir une multitude d'informations à caractère privé.

«Les gens transportent leur vie tout entière sur leur téléphone portable», s'est exclamée la juge Elena Kagan, «la police peut saisir un téléphone portable et regarder toutes les données personnelles de quelqu'un simplement parce que cette personne a été arrêtée pour avoir conduit sans ceinture de sécurité?», s'est-elle étonnée.

Quel que soit leur penchant politique, les neuf juges sont apparus soucieux d'empêcher toute intrusion abusive dans la vie privée des Américains, en examinant le cas de deux hommes, dont les portables avaient été fouillés sans autorisation lors d'une arrestation de routine, ce qui avait permis leur condamnation.

Le juge Samuel Alito a estimé qu'il fallait «trouver un équilibre entre les intérêts de la vie privée et ceux des forces de l'ordre», en se demandant «quelles étaient les nouvelles attentes en matière de vie privée» à l'ère moderne.

Dans la première affaire, David Riley, un étudiant californien, avait été arrêté en 2009 près de San Diego pour des plaques d'immatriculation non conformes. La  fouille de son portable a permis de le lier aux activités d'un gang et il a été condamné à 15 ans de réclusion. Dans la deuxième affaire, Brima Wurie, a été reconnu coupable de possession et distribution de cocaïne près de Boston grâce aux données trouvées dans ses téléphones portables. Une partie de sa peine a été effacée en appel car elle était, selon lui, «le fruit d'une fouille inconstitutionnelle».

Destruction des preuves

En face, le gouvernement américain et l'État de Californie arguent que «les téléphones portables contiennent quantité de preuves d'une infraction (...) et qu'il faut agir rapidement», a déclaré à l'audience Michael Dreeben, avocat de l'administration Obama.

«Vous ne savez pas à l'avance si la sécurité (des forces de l'ordre) est en jeu ou s'il y a urgence» pour empêcher les données d'être détruites, a aussi estimé l'avocat de la Californie Edward Dumont.

Les deux avocats ont noté que le système de codage des téléphones peut permettre non seulement la destruction des preuves, mais aussi l'appel automatique de «complices» pour venir au secours immédiat de leur acolyte.

Le juge Antonin Kennedy a lui suggéré que la décision soit «laissée à la discrétion de l'officier de police».

«C'est absurde de fouiller un téléphone quand on est arrêté pour défaut de port de ceinture de sécurité», a fustigé son collègue Antonin Scalia, suggérant de limiter les fouilles de portables aux cas où il y a besoin de protéger un policier ou de récupérer les preuves d'un crime.

Le gouvernement a concédé que les «éléments recherchés devaient avoir un rapport avec le crime ou l'arrestation», promettant que les policiers ne «s'intéressaient pas aux rapports médicaux ou aux photos» d'une personne.

Mais cette double affaire, l'une des dernières que la haute Cour entend cette année, émeut nombre d'organisations de défense des libertés.

«Autoriser la police à fouiller le contenu d'un téléphone portable sans avoir obtenu de mandat serait un affront à la longue histoire de protection des droits de la vie privée en Amérique», a estimé Norman Reimer, directeur de l'Association nationale des avocats de la défense pénale (NACDL).