La SNCF a désormais les mains libres pour postuler à un contrat dans le Maryland où des élus menaçaient de lui interdire toute candidature en raison de son rôle dans la Shoah, sujet sensible pour le groupe ferroviaire français aux États-Unis.

Réquisitionnée par le régime de Vichy, la SNCF a déporté 76 000 juifs dans des wagons de marchandises à travers le pays et vers les camps d'extermination entre 1942 et 1944. Environ 3000 d'entre eux seulement ont survécu, selon la SNCF.

Or des élus du Maryland demandaient que la SNCF indemnise les victimes avant de pouvoir postuler à un appel d'offres, et avaient déposé des propositions de loi dans ce sens.

Mais les textes de loi n'ont pas été soumis au vote de la Chambre et du Sénat du Maryland pour la session législative 2014, qui s'est achevée lundi à minuit.

La SNCF va donc pouvoir postuler d'ici cet été, via sa filiale Keolis America, à un projet de transport public-privé de près de 3 milliards de dollars, portant sur la création et l'exploitation d'une ligne ferroviaire de 25 kilomètres.

La SNCF est candidate à son exploitation, au sein d'un consortium qui comprend également les français Alstom et Vinci. Le département des Transports du Maryland prévoit de sélectionner un consortium privé fin 2014, début 2015.

Lors d'auditions parlementaires en mars empreintes d'émotion, d'anciens déportés et leurs familles avaient réclamé à la SNCF d'être indemnisés.

La SNCF avait répondu n'avoir été qu'un «rouage dans la machine d'extermination nazie», soulignant que l'indemnisation des faits de déportation relevait de l'État français.

Ce dernier est actuellement engagé dans des négociations avec les États-Unis pour indemniser les victimes américaines transportées par la SNCF. Il s'agit notamment d'examiner le cas des Américains qui ne remplissaient pas les critères français de compensation, soit parce qu'ils avaient émigré, soit parce qu'ils étaient arrivés sur le sol français après le 1er septembre 1939.

Maintenir la pression 

Le président de SNCF America, Alain Leray, a «pris acte» mardi du fait que les textes n'ont pas été votés et a affirmé à l'AFP que leur adoption aurait «considérablement interféré avec les négociations» entre États. Keolis s'est dit «satisfait de pouvoir postuler (...) à un projet qui sert notre communauté locale».

Représentant la partie américaine à ces discussions, l'avocat Stuart Eizenstat s'est dit mardi «heureux que les textes de lois ne soient pas allés plus loin, pour ne pas interférer dans les négociations» sur l'indemnisation des victimes, qui «progressent». «Notre objectif commun» est de les conclure avant la fin de l'été, a-t-il précisé à l'AFP.

En outre, ces textes auraient, parce qu'ils restreignaient la concurrence, «mis en péril le financement fédéral» du projet (900 millions de dollars), avait noté le ministère fédéral des Transports dans un courrier à l'administrateur des transports du Maryland.

La Coalition for Holocaust Rail Justice s'est dite «déçue» pour les victimes qu'elle représente, estimant cependant que l'initiative dans le Maryland a contribué à «accélérer» les négociations entre les deux pays. Le délégué du Maryland auteur d'un des textes, Kirill Reznik, a dit «espérer» que les négociations entre États aboutiront pour «ne pas à avoir à revenir sur le sujet l'an prochain».

Désireuse de maintenir la pression, l'association soutient aussi des élus dans l'État de New York qui ont écrit à la SNCF en mars pour lui dire leur intention de la priver de contrats si elle n'indemnisait pas les victimes.

Il s'agit de «s'assurer que toute entreprise (...) qui cherche à faire des affaires dans l'État de New York le fasse avec des mains propres», écrivent les élus dans leur courrier, publié par la Coalition, qui évoque des initiatives similaires en Californie et en Floride.

Un autre élu, le sénateur démocrate Charles «Chuck» Schumer avait demandé en 2013 au Congrès d'autoriser des poursuites judiciaires contre la SNCF pour son rôle dans la Shoah. Actuellement, la SNCF ne peut pas être poursuivie devant des tribunaux américains car elle bénéficie d'une immunité en tant qu'entreprise étrangère.