Ce n'est vraiment pas drôle d'être milliardaire ces jours-ci aux États-Unis. Faute d'avoir le malheur de gérer une fortune à 10 chiffres, il est possible de se familiariser avec cette triste réalité et de compatir avec ses victimes en lisant régulièrement le Wall Street Journal.

Prenons l'exemple de Charles Koch, dont la fortune est évaluée à 50 milliards de dollars, tout comme celle de son frère David, avec lequel il dirige Koch Industries, un conglomérat actif dans une dizaine de secteurs, dont le pétrole, le gaz naturel, la chimie et le plastique. La semaine dernière, l'industriel de 78 ans a signé une tribune dans le quotidien des affaires pour se plaindre amèrement des «collectivistes» qui «prônent le contrôle du gouvernement sur les moyens de production et la façon dont les gens mènent leurs vies» et qui «s'emploient à discréditer et intimider leurs adversaires».

«Ils s'adonnent à la diffamation (j'en sais quelque chose, je suis la cible presque quotidienne de leurs attaques)», a ajouté le multimilliardaire de Wichita, au Kansas, pour qui le terme «collectivistes» s'applique à Barack Obama et ses alliés démocrates.

La sortie de Charles Koch était surréaliste à plus d'un égard. Mais avant d'aller plus loin sur ce thème, effectuons un bref survol des autres milliardaires américains qui crient à l'injustice. Fin janvier, Tom Perkins, grand investisseur de la Silicon Valley, a fait paraître dans le Wall Street Journal une lettre où il a comparé la campagne du mouvement Occupy Wall Street, dirigée contre les riches, à la persécution des Juifs par les nazis. Rien de moins.

«Écrivant depuis l'épicentre de la pensée progressiste, San Francisco, je voudrais attirer l'attention sur le parallèle qu'il y a entre la guerre menée par les fascistes nazis en Allemagne contre leur 1%, c'est-à-dire les juifs, à celle menée par les progressistes sur le 1% américain, c'est-à-dire les riches», a écrit l'investisseur de 82 ans, tout en mettant ses concitoyens en garde contre une «autre Nuit de Cristal».

Le parallèle est indécent, mais Tom Perkins n'est pas le seul milliardaire américain à déraper de la sorte. En 2010, lors de la réunion d'un conseil d'administration, Stephen Schwarzman, PDG du fonds d'investissement Blackstone, a décrit en ces termes la proposition de l'administration Obama d'augmenter les impôts des sociétés de capital privé comme la sienne: «C'est la guerre. C'est comme lorsque Hitler a envahi la Pologne en 1939.»

Tom Perkins n'est pas non plus le seul milliardaire à tempêter contre le débat sur l'inégalité des revenus, débat auquel prend part le président Obama. Selon le magnat de l'immobilier Sam Zell, les riches «se font taper dessus parce que c'est politiquement commode de le faire». Mais la vérité telle que la perçoit Zell, c'est que «les 1% travaillent plus fort».

D'autres milliardaires, dont le grand patron de Home Depot, Ken Langone, ont exprimé récemment des idées semblables. Mais aucun d'entre eux ne suscite aujourd'hui une controverse plus grande que les frères Charles et David Koch. Partisans de l'idéologie libertarienne, ils financent depuis des décennies une multitude d'organisations de droite prônant moins d'États et mettant en doute les changements climatiques.

Parmi celles-ci se trouve Americans for Prosperity, un groupe proche du Tea Party, qui a dépensé plus de 30 millions au cours des derniers mois pour diffuser des pubs télévisées attaquant la réforme de la santé de Barack Obama et les candidats démocrates qui la soutiennent.

Face à ce matraquage en règle, les démocrates ont décidé de contre-attaquer en ciblant les frères Koch. Harry Reid, chef de la majorité démocrate au Sénat, a sonné la charge le mois dernier en dénonçant ces «milliardaires de l'ombre qui dépensent des sommes illimitées pour truquer notre système politique et se remplir les poches».

Des politiciens et commentateurs conservateurs ont défendu les frères Koch, accusant notamment les démocrates d'hypocrisie. Après tout, ceux-ci reçoivent également l'aide financière de milliardaires, dont le financier Tom Steyer, qui s'oppose au projet Keystone XL.

Mais le cri du coeur de Charles Koch n'était pas moins remarquable. «Je me bats pour restaurer une société libre», proclamait le titre coiffant sa tribune du Wall Street Journal. Et le milliardaire voudrait que ses adversaires acceptent sans piper mot l'avalanche de pubs souvent trompeuses ou mensongères que lui et son frère financent. Allo la terre?

Mais Charles Koch peut se consoler. La veille de la publication de sa tribune dans le Wall Street Journal, la Cour suprême a éviscéré encore davantage les lois sur le financement électoral.

Il y a donc encore un peu d'espoir pour les milliardaires américains.