La Cour suprême des États-Unis a fait sauter hier une autre digue qui limitait le flot d'argent dans le système électoral américain. À la suite d'une décision rendue à la plus courte des majorités (5-4), les donateurs particuliers n'auront plus à respecter de plafond pour l'ensemble de leurs contributions financières aux partis et aux candidats fédéraux. Cette décision, approuvée par l'aile conservatrice de la plus haute instance américaine, s'inscrit dans la même logique qu'un autre arrêt historique et controversé, «Citizens United v. Federal Election Commission», qui a autorisé en janvier 2010 les entreprises, syndicats et individus à financer - sans limite aucune - les candidats de leur choix par l'entremise de PAC (comités d'action politique). Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de la nouvelle décision de la Cour suprême, nous répondons à quatre questions.

Q: Quelle est l'origine de la décision rendue hier?

R: Shaun McCutcheon, homme d'affaires d'Alabama, est à l'origine de la cause qui porte son nom et celui de la Federal Election Commission (FEC). Appuyé par le Parti républicain, il a contesté la légalité du plafond de 123 200$ imposé aux donateurs particuliers pour chaque cycle électoral. Ainsi, jusqu'à hier, ceux-ci ne pouvaient pas donner plus de 48 600$ sur deux ans à des candidats à la Maison-Blanche ou au Congrès et 74 600$ aux divers comités mis sur pied par les partis. Shaun McCutcheon estimait que sa «liberté d'expression politique» était brimée par ces limites. Fait à noter: la décision du plus haut tribunal ne s'applique pas au plafond limitant à 5200$ le don d'un particulier à un seul candidat.

Q: Quel est l'argument constitutionnel invoqué par la majorité conservatrice dans sa décision?

R: John Roberts et ses quatre collègues conservateurs ont donné raison au plaignant, estimant que le premier amendement de la Constitution américaine garantit le droit de chaque individu à «s'engager en politique», y compris en dépensant de l'argent. «Il n'y a aucun droit plus fondamental dans notre démocratie que le droit de participer à l'élection de nos dirigeants politiques», a écrit le président de la Cour suprême dans sa décision. Le juge Roberts a balayé du revers de la main la peur de la corruption ou de l'apparence de la corruption qui avait fait naître le plafond imposé aux donateurs particuliers dans la foulée du scandale du Watergate.

Q: Quelles seront les retombées politiques de la décision?

R: À en juger par les réactions des deux principaux partis américains, les républicains sont les plus susceptibles d'en profiter. «Vous avez la liberté d'écrire ce que vous voulez écrire, les donateurs devraient avoir la liberté de donner ce qu'ils veulent donner», a déclaré aux journalistes le républicain John Boehner, président de la Chambre des représentants. «Nos fondateurs ont risqué leurs vies, leur liberté et leur honneur sacré pour créer une démocratie - un gouvernement du peuple et non pas un gouvernement de l'argent», a déploré Nancy Pelosi, chef de la minorité démocrate de la Chambre. Au-delà des principes, la joie exprimée par les républicains tient en bonne partie au fait qu'ils comptent sur un plus grand nombre de donateurs riches que les démocrates.

Q: Existe-t-il un mouvement au Congrès pour contrer l'influence croissante de l'argent dans le système électoral?

R: Plusieurs démocrates ont promis hier de déposer ou de relancer des projets de loi destinés à renverser cette tendance. En juin dernier, les sénateurs Jon Tester du Montana et Tom Udall du Nouveau-Mexique ont tous deux proposé des amendements constitutionnels destinés à réformer le système de financement électoral. L'amendement du sénateur Tester priverait notamment les entreprises du statut de «personnes» que leur a conféré la Cour suprême dans la décision «Citizens United v. FEC». Statut qui leur permet de jouir de la protection du premier amendement. Une initiative similaire a été mise de l'avant à la Chambre des représentants par le démocrate Jim McGovern du Massachusetts. Mais aucune réforme du genre n'est possible tant que les républicains sont majoritaires à la Chambre.

38,6 M

C'est la somme donnée par le roi des casinos Sheldon Adelson et sa femme Miriam, notamment par le biais de super PAC républicains, au cours de la campagne électorale de 2012.