Entre liberté religieuse et droit des femmes, la Cour suprême des États-Unis s'est montrée très divisée mardi sur la question de savoir si un employeur pouvait invoquer sa religion pour limiter l'accès de ses salariées à certaines méthodes de contraception.

Sur les marches du temple de la justice, comme dans la majestueuse salle d'audience, une même opposition frontale: entre féministes et militants anti-IVG, qui assimilent certaines formes de contrôle des naissances à des avortements, d'une part, entre juges progressistes et conservateurs, d'autre part.

Bravant les chutes de neige et les bourrasques de vent, des dizaines de manifestants, en majorité des femmes, scandaient «Le contrôle des naissances n'est pas l'affaire de mon patron» ou encore «Pas de patron dans ma chambre à coucher». Face à eux, un gros bataillon de militants anti-avortement, certains en soutane ou couverts d'un bonnet amish, donnaient de la voix pour défendre «foi et famille».

Derrière les épais murs de marbre, les quatre juges progressistes et quatre des cinq juges conservateurs ont laissé peu d'incertitude sur leur vote, l'issue reposant comme souvent entre les mains du juge Anthony Kennedy qui s'est montré à la fois inquiet pour le droit des femmes et pour celui des entreprises familiales opposées à l'avortement.

La controverse porte sur quatre des 20 moyens de contraception que la réforme de la santé de Barack Obama rembourse entièrement - deux pilules du lendemain et deux types de stérilet. Mais trois entreprises privées refusent de souscrire à la couverture maladie pour ces méthodes qu'elles considèrent abortives, au motif que leurs croyances religieuses le leur interdisent.

«Nous ne paierons pas pour un produit abortif, quel qu'il soit. Nous pensons que la vie commence dès la conception», proclame Steve Green, président de Hobby Lobby, une chaîne de fournitures artistiques dont le siège est en Oklahoma, dans le sud des États-Unis.

À travers le pays, les 556 magasins de Hobby Lobby sont fermés le dimanche, jour du Seigneur, fait très exceptionnel aux États-Unis. Sur son site internet, le groupe familial de 28 000 employés «rend grâce à Dieu» pour sa réussite, et dit gérer ses activités «en accord avec les principes bibliques».

«Pente glissante»

Avec la librairie religieuse du groupe et Conestoga, un petit fabricant de placards de Pennsylvanie (est), de confession mennonite, Hobby Lobby demande à la Cour suprême de l'exempter de cette obligation légale «si sensible en matière de religion que le gouvernement a prévu l'exemption» des congrégations religieuses, a argué leur défenseur Paul Clement.

Les trois femmes progressistes de la Cour se sont d'emblée rangées derrière le gouvernement Obama, qui considère qu'une entreprise commerciale ne jouit pas du même droit constitutionnel à la liberté religieuse qu'une personne.

Parmi elles, la juge Elena Kagan a brandi le risque de se retrouver «sur une pente glissante» si la Cour donnait ici raison aux entreprises. De la vaccination à la transfusion sanguine, «vous verriez toutes sortes d'objecteurs sortir du placard en invoquant leur religion», a-t-elle déclaré. Elle a estimé qu'en refusant ce type de couverture maladie pour des raisons religieuses, les entreprises «feraient de manière tangible du tort aux femmes».

«Il ne s'agit pas d'accès à la contraception, mais de qui va payer», a rétorqué Paul Clement.

En face, le juge conservateur Samuel Alito a demandé à l'avocat du gouvernement Donald Verrilli ce qu'il y avait d'«incompatible» entre une entreprise à but lucratif et la liberté de religion.

Le juge Kennedy a cependant souligné qu'«un employé pouvait ne pas être d'accord avec les croyances religieuses de son patron». Mais il a estimé que, selon la théorie du gouvernement, une entreprise commerciale pourrait être forcée à payer pour l'avortement.

«Deux millions de femmes comptent sur (ces méthodes) pour contrôler les naissances», a rétorqué Donald Verrilli, et elles ne les considèrent pas comme un avortement.

«Le message aux juges est clair: les décisions en matière de santé doivent être prises par une femme, sa famille et son docteur, et non par son patron, son assurance ou les hommes politiques de Washington», estime Nancy Pelosi, leader démocrate à la Chambre des représentants. L'arrêt de la haute Cour est attendu fin juin.