«Convoi n°64 en date du 7 décembre 1943»: 70 ans après l'holocauste, Rosette Goldstein, 75 ans est venue lundi à Annapolis, dans l'est des États-Unis, réclamer réparation à la SNCF pour le transport de son père vers les camps de la mort.

Tenant devant elle un registre des trains vers les camps d'extermination nazis, elle a les larmes aux yeux quand elle y cherche le nom de son père, David Adler, avant de témoigner devant des élus du Maryland (est) qui menacent de priver le groupe ferroviaire français de contrats aux États-Unis pour son rôle dans la Shoah.

Du Maine-et-Loire en 1943, «mon père a été emmené par camion jusqu'à la gare, mis dans un train de la SNCF jusqu'à Drancy. Emmené par le convoi 64 (...) de Drancy jusqu'à Auschwitz» et est mort de travail forcé dans un autre camp, a-t-elle raconté aux élus, très émue. «Je voudrais tellement qu'ils disent "on le regrette"», a estimé la petite femme brune, qui témoignait à la place de l'ancien déporté Leo Bretholz, décédé samedi.

M. Bretholz, rescapé après avoir sauté d'un train en octobre 1942 qui l'emmenait vers Auschwitz, a lancé une pétition qui a réuni plus de 150 000 signatures, réclamant à la SNCF d'indemniser les victimes et leurs familles transportées vers les camps de la mort.

Réquisitionnée par le régime de Vichy, la SNCF a déporté 76 000 juifs dans des wagons de marchandises à travers le pays et vers les camps d'extermination entre 1942 et 1944. Environ 3000 d'entre eux seulement ont survécu, selon la SNCF.

«S'ils étaient payés (par le gouvernement de Vichy) par personne, et par kilomètre, ils doivent verser des réparations au moins par personne. Sinon tout ce qu'ils font avec des mots, c'est juste du vent», s'est exclamé la petite-fille d'autres victimes de l'holocauste, Ellen Lightman, 67 ans, devant la même commission de la Fiscalité de la Chambre du Maryland.

Alain Leray, président de SNCF America, venu témoigner lui aussi, déclare qu'il «comprend aujourd'hui les sentiments de ceux qui accusent aujourd'hui la SNCF».

«Sous la contrainte»

Mais il dénonce une «campagne de désinformation». «Nous étions sous commandement allemand. Nous avons été un rouage dans la machine de guerre nazie. Nous avons agi sous une contrainte qui malheureusement était tellement forte qu'on ne pouvait pas y échapper», explique M. Leray, lui-même fils de survivants de la Shoah, âgé de 54 ans.

Il explique aussi que la SNCF ne peut pas indemniser des «faits de déportation», car ces faits relèvent de l'État français.

Le gouvernement français a à cet égard initié le 6 février des négociations avec le gouvernement américain pour éventuellement indemniser des victimes américaines - et leurs familles - transportées par la SNCF entre 1942 et 1944.

Il s'agit notamment de considérer les Américains qui ne remplissaient pas les critères français de compensation. Car le mécanisme français de compensation des victimes de la déportation couvre tous les citoyens français et les résidents qui se trouvaient en France mais seulement jusqu'au 1er septembre 1939.

Pour le délégué du Maryland Kirill Reznik, la SNCF est «directement responsable» du transport des victimes de la Shoah, et doit verser des indemnités aux victimes avant de pouvoir postuler à un appel d'offres. L'élu a déposé un texte de loi dans ce sens. «On a une facture de la SNCF qui demande d'être payée par tête, par kilomètre» dénonce l'élu.

Si ce texte est adopté, il interdirait notamment à la SNCF de se porter candidate, via sa filiale Keolis America, à un projet public-privé de 6 milliards de dollars dans le Maryland, portant sur la création et l'exploitation d'une ligne ferroviaire de 25 kilomètres.

«Ce groupe ne peut pas opérer la ligne (nommée) Purple sans avoir (...) pris les mesures qui refermeront les blessures qu'il a engendrées», a estimé M. Reznik.

La SNCF est aussi visée par un autre projet de loi, déposé fin juillet 2013 au Congrès, qui permettrait au groupe ferroviaire d'être poursuivi devant des tribunaux américains en dépit d'une loi américaine qui lui garantit l'immunité en tant que société étrangère.