Le boom que connaît la Silicon Valley, et l'afflux résultant de jeunes «techies» qui engrangent des salaires faramineux, fait des vagues à San Francisco.

La ville voit son tissu social transformé par l'arrivée de ces riches employés qui cadrent mal avec l'image de Mecque de la contreculture qui lui a longtemps été associée.

La greffe ne se fait pas sans heurt et a débouché, au cours de la dernière année, sur une campagne de dénonciation ciblant... des autobus.

La plupart des entreprises technologiques de renom offrent à leurs employés des services de navettes qui leur permettent de se rendre de San Francisco à leur lieu de travail sans avoir à utiliser leur voiture ou les transports en commun.

Les autobus blancs de firmes comme Google et Yahoo!, qui utilisent les arrêts des autobus publics, ont fait l'objet à plusieurs reprises d'opérations-chocs visant à dénoncer l'émergence d'un système à deux vitesses opposant riches et pauvres en matière de transports.

Au cours de la dernière année, plusieurs de ces véhicules privés ont été bloqués temporairement par des manifestants. D'autres opposants se sont réunis sous l'oeil attentif des médias pour détruire une piñata représentant un des véhicules de Google.

Bien que les interventions se soient généralement terminées sans violence, certaines ont dérapé.

Dans la ville voisine d'Oakland, des manifestants ont fracassé la vitre d'un véhicule de Google, ce qui a poussé les entreprises à intégrer du personnel de sécurité à bord.

Le message à l'attention des occupants de l'autobus était décidément peu amène. «Vous vivez vos vies confortables entourés par la pauvreté, l'itinérance et la mort, apparemment indifférents à ce qui vous entoure, perdus dans la richesse et le succès. Mais regardez autour de vous la violence et la dégradation. C'est le monde que vous avez créé...», ont-ils indiqué dans un pamphlet.

Symbole

Les autobus sont devenus le symbole d'un problème plus général, qui est celui de l'embourgeoisement et de l'impact de l'afflux des employés de la Silicon Valley sur les loyers à San Francisco. La ville est aujourd'hui devenue l'une des plus chères des États-Unis.

L'écrivaine Rebecca Solnit, dans un essai paru l'année dernière dans le London Review of Books, disait voir les autobus des firmes technologiques comme des «vaisseaux spatiaux à bord desquels nos maîtres extraterrestres venaient d'atterrir».

L'auteure relate qu'elle a rapidement constaté, après s'être lancée à la recherche d'un appartement il y a quelques années, que la compétition était féroce. Et que la proximité avec les arrêts des autobus de Google ou d'Apple était souvent mise en valeur par les annonceurs pour attirer leurs employés.

De «jeunes gens armés de chéquiers» et d'épais CV prenaient d'assaut les logements disponibles, s'engageant dans une «surenchère d'offres» pour convaincre le propriétaire de les choisir - par exemple en offrant de payer d'emblée une année complète de loyer.

Expulsions

Les expulsions de locataires, motivées par la volonté de propriétaires désirant profiter de la manne de la Silicon Valley, ont bondi, relate l'auteure, qui cite les cas de plusieurs amis évincés sans considération. Ces expulsions auraient augmenté de 25% entre 2012 et 2013.

Une organisation, Heart of the City, dénonce le fait que le nouveau boom technologique «fait exploser le coeur de San Francisco». Elle a mobilisé l'année dernière un autobus similaire à ceux des sociétés ciblées pour dénoncer les «technologies d'embourgeoisement et d'expulsion».

La cristallisation des tensions autour des services de navettes privées a amené en janvier la Ville de San Francisco à adopter un projet-pilote qui obligera les entreprises à payer 1$ pour chaque arrêt sur les voies utilisées par les autobus publics. Une mesure qui devrait générer 1,5 million de dollars par année, mais qui a été considérée comme insuffisante par les détracteurs des entreprises.

Le maire de la ville, Ed Lee, a déploré le fait que certaines personnes cherchent à opposer un secteur économique qui connaît du succès au reste de la société.

«La réalité est qu'ils ne représentent que 8% de notre économie», a-t-il noté.