Paris et Washington ont entamé des négociations sur d'éventuelles indemnisations des familles des victimes américaines de l'holocauste transportées par la SNCF entre 1942 et 1944, dossier sensible qui menace de priver le groupe ferroviaire français de contrats aux États-Unis.

Après plusieurs rencontres informelles en 2013, des diplomates des deux pays ont entamé ces négociations le 6 février à Paris, ont indiqué vendredi à l'AFP l'avocat des familles des victimes, Stuart Eizenstat et l'ambassade de France à Washington, confirmant une information du Washington Post.

Refusant de divulguer le contenu des discussions, M. Eizenstat, qui est également conseiller du secrétaire d'État américain John Kerry sur les questions d'holocauste, a tenu à rendre hommage au gouvernement français «qui, plus de sept décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a initié une démarche visant à (...) rendre justice aux Américains déportés vers des camps de concentration par la SNCF».

Cet avocat, qui a déjà obtenu des compensations pour des victimes de la Shoah en Allemagne, en Autriche et en Suisse, a juste précisé que les deux parties «étaient en train de définir le nombre» de victimes concernées.

Réquisitionnée par le régime de Vichy, la SNCF, entreprise publique, a déporté au total 76 000 Juifs dans des wagons de marchandises à travers le pays et vers les camps d'extermination entre 1942 et 1944. Environ 3000 d'entre eux seulement ont survécu.

En 2011, le groupe avait reconnu avoir été un «rouage de la machine nazie d'extermination».

Ne pas laisser des victimes de côté

«On est dans une discussion avec les autorités américaines pour nous assurer qu'on ne laisse pas des gens de côté», faire en sorte que les mécanismes de compensation «puissent aussi s'appliquer à d'autres victimes qui ne rentraient pas dans les critères initiaux», a expliqué une porte-parole de l'ambassade de France aux États-Unis.

Le mécanisme français de compensation des victimes de la déportation couvre tous les citoyens français, y compris les binationaux, et les résidents qui étaient en France au 1er septembre 1939.

L'ambassade de France a aussi fait valoir que «l'État français a reconnu très tôt sa responsabilité, en 1948», dans la Shoah, y compris pour les entités publiques comme la SNCF, alors que plusieurs élus américains et d'anciens déportés demandent des comptes directement à la SNCF.

Sollicité par l'AFP, le président de SNCF America, Alain Leray, n'a pas voulu commenter des discussions «entre États», rappelant que «les compensations liées à la déportation étaient de la responsabilité de l'État» français.

Un ancien déporté, Léo Bretholtz, a lancé une pétition réclamant des réparations à la SNCF et qui a recueilli à ce jour 108 000 signatures.

Dans le Maryland, deux élus ont présenté une proposition de loi restreignant l'accès de la SNCF aux marchés publics tant qu'elle n'aura pas versé d'indemnités pour son rôle dans la déportation des Juifs.

Ces élus exigent de la SNCF qu'elle indemnise les survivants et leurs familles avant de pouvoir se porter candidate, via sa filiale Keolis America, à un projet public-privé de 6 milliards de dollars, portant sur la création et l'exploitation d'une ligne ferroviaire de 25 kilomètres.

M. Leray juge le texte «discriminant» vis-à-vis des autres entreprises candidates et «faux historiquement» quand il affirme que la SNCF a collaboré «volontairement» avec le régime nazi.

Au Congrès, des élus ont aussi déposé un projet de loi pour autoriser des poursuites contre la SNCF, après un précédent texte infructueux déposé deux ans auparavant.

Une association représentant les victimes et leurs familles, la  Coalition for Holocaust Rail Justice, a indiqué vendredi qu'elle soutenait «sans réserve» toute négociation «qui pourrait apporter une indemnisation juste et raisonnable aux victimes et à leurs familles».

«Il reste très peu de temps aux victimes de la SNCF pour qu'il leur soit rendu justice de leur vivant et qu'elles puissent tourner la page», a-t-elle fait valoir.