La nécessité est la mère de l'invention, dit le proverbe. Demain, à moins d'une intervention in extremis de la Cour suprême des États-Unis, l'Ohio en fera de nouveau la démonstration - sur un mode macabre, faut-il le préciser. En effet, cet État du Midwest mettra à l'épreuve un nouveau cocktail pour l'exécution de Dennis McGuire. L'homme de 53 ans a été condamné à mort en 1989 pour le viol et le meurtre de Joy Stewart, une jeune femme de 22 ans qui était enceinte. Pour comprendre les tenants et aboutissants du recours à une méthode d'exécution aussi inédite que controversée, La Presse fait le point.

Q: Pourquoi l'État d'Ohio doit-il utiliser un nouveau cocktail mortel pour exécuter un détenu?

R: Comme plusieurs États américains qui pratiquent la peine de mort, l'Ohio fait face à une pénurie de barbituriques pour mettre en oeuvre ses exécutions. Ainsi, l'État du Midwest ne parvient plus à s'approvisionner en pentobarbital, l'anesthésiant injecté en dose unique depuis 2011 dans les chambres d'exécution américaines. Cette pénurie est attribuable en partie au refus de laboratoires européens de vendre certains produits pharmaceutiques aux services correctionnels américains. «Ces sociétés ne veulent plus rien avoir à faire avec notre peine de mort», explique à La Presse Deborah Denno, spécialiste de l'injection mortelle aux États-Unis, faisant notamment référence à la société danoise qui produit le pentobarbital.

Q: Quels produits l'Ohio utilisera-t-il pour exécuter Dennis McGuire?

R: L'État utilisera une combinaison de deux produits qui n'a jamais été testée jusqu'ici dans une chambre d'exécution. Le condamné recevra d'abord une injection de midazolam, un puissant sédatif. Suivront une injection d'hydromorphone, un dérivé semi-synthétique de la morphine. «La sélection de ces agents ne tient pas à un souci d'humanité ou d'efficacité. La sélection de ces agents tient au fait que ce sont les seuls que le service correctionnel de l'Ohio peut obtenir, dit Deborah Denno, qui enseigne le droit à l'Université Fordham de New York. Et c'est la situation qui pèse sur la procédure d'injection mortelle depuis quatre ans.»

Q: Quels sont les risques liés à ce nouveau cocktail mortel?

R: Dans les cinq minutes qui suivront l'injection des drogues, Dennis McGuire «connaîtra la souffrance et la terreur» liées à une insuffisance respiratoire aiguë, ont fait valoir ses avocats. Une telle réaction, que pourrait exacerber l'apnée du sommeil dont souffre le condamné, enfreint le huitième amendement de la Constitution américaine, selon les avocats. Cet amendement prohibe les «châtiments cruels et inhumains». Tout en rejetant les hypothèses des défendeurs de McGuire, un procureur de l'État de l'Ohio a plaidé que la Constitution ne garantissait pas aux condamnés à mort le droit à une «exécution sans douleur». Lundi, un juge fédéral lui a donné raison.

Q: Y a-t-il un lien entre la pénurie de barbituriques et le déclin du nombre d'exécutions aux États-Unis?

R: «Oui, je pense qu'il y a un lien, répond Deborah Denno. Plusieurs autres choses interviennent par ailleurs, mais la pénurie d'agents pharmaceutiques est certainement un facteur qui contribue à ce déclin.» Selon le Centre d'information sur la peine de mort, 39 exécutions ont eu lieu aux États-Unis en 2013, contre 43 en 2012 et 98 en 1999. «Si vous étudiez l'histoire de l'injection mortelle depuis le retour de la peine de mort, vous devez constater que la procédure va de mal en pis, poursuit Deborah Denno. Je pense que le temps est venu d'essayer quelque chose de différent.»