Plus de 40 ans après avoir légalisé l'avortement aux États-Unis, la Cour suprême américaine a semblé réceptive mercredi aux arguments des anti-IVG qui réclament de pouvoir manifester librement leur colère sous les fenêtres des cliniques pratiquant l'interruption volontaire de grossesse.

Dans cette affaire, qui mêle la question délicate de l'avortement à celle toujours sensible de la liberté d'expression, les neuf juges ont paru enclins à invalider une loi du Massachusetts, dans le nord-est, qui interdit de manifester à proximité immédiate des cliniques gynécologiques.

S'appuyant sur le Premier amendement de la Constitution sur la liberté d'expression, sept militants anti-avortement contestent la loi du Massachusetts de 2007, qui prohibe toute manifestation dans une «zone tampon» de 10 mètres autour de l'entrée, de la sortie ou de l'accès privé de cliniques gynécologiques.

Devant le temple de la justice américaine, une poignée de militants de chaque camp avaient déployé leurs banderoles. «Maintenez la légalité de l'avortement», proclamait la pancarte d'une organisation féministe. «Cour suprême, rejette la loi injuste sur la zone bulle», lui répondait celle d'un manifestant brandissant une Bible.

Pendant une heure d'audience, les sages de la Cour ont tour à tour questionné l'intérêt de cette zone de protection, évoqué sa taille, se demandant si l'État ne pouvait trouver d'autres moyens d'assurer les allées et venues des employés de ces cliniques et des femmes venant pratiquer un avortement.

«C'est une zone où l'on tue l'expression» des opinions, a lancé le conservateur Antonin Scalia. «C'est une zone empêchant toute mauvaise conduite, pas seulement l'expression» des idées, a abondé la juge Elena Kagan, pourtant du camp opposé.

«Éviter l'encombrement»

«Vous dites que (la loi) ne garantit pas qu'on puisse parler calmement même d'un sujet d'importance publique?», a aussi demandé le conservateur Anthony Kennedy, qui a semblé regretter le manque de distinction, dans la loi, entre les militants souhaitant donner des conseils et les réels perturbateurs.

«Il s'agit d'éviter l'encombrement», lui a rétorqué Jennifer Miller, l'avocate du Massachusetts. «La loi du Massachusetts n'interdit pas de parler mais déplace (cette possibilité) d'un forum public à un autre», a aussi plaidé Ian Gershengorn, l'avocat du gouvernement.

Ces personnes «veulent parler aux femmes sur le point de pratiquer un avortement, il s'agit de conseil, pas de manifestation», a encore lancé le juge Scalia, se demandant: «Quelle est l'alternative? Reculer de quelques pas et hurler?».

Cette loi «donne à l'État un pouvoir énorme d'interférence dans le domaine des idées, et de la liberté de pensée», a ajouté Me Rienzi pour les plaignants anti-IVG.

Mais «on ne sait pas à l'avance qui se comporte comme il faut et qui est un élément perturbateur», a pointé la progressiste Ruth Ginsburg, clairement en faveur de ces zones d'interdiction.

Les manifestants «pro-vie» scandent régulièrement leurs slogans anti-avortements aux abords de ces cliniques, brandissant des images de foetus avortés et perpétrant, dans des cas extrêmes, des violences contre les praticiens et leurs personnels. Deux médecins pratiquant l'IVG avaient été tués en 1994 dans le Massachusetts. Mais depuis 2007, aucune poursuite n'a été engagée dans cet État pour infraction à la loi.

La décision de la Cour, attendue fin juin, sera «certainement significative», a estimé David Hudson, expert à l'Ecole de droit de Nashville. «Les juges sont profondément divisés sur la constitutionnalité des lois qui régulent ou limitent l'avortement».

Malgré une multiplication des recours, la Cour suprême avait préféré se pencher sur ce dossier périphérique, plutôt que de s'emparer du coeur de la controverse et de revenir sur leur décision de janvier 1973, «Roe v. Wade», qui légalise l'IVG dans le pays.

Elle a rejeté lundi le dernier de ces recours, alors que de plus en plus d'États votent des lois restrictives sur l'IVG. Elle a refusé ainsi de se saisir d'une loi dans l'Arizona qui interdit l'avortement à 20 semaines de grossesse.

La haute Cour avait en revanche refusé de bloquer l'application d'une loi restreignant l'accès à l'avortement au Texas, entraînant la fermeture d'un tiers des cliniques gynécologiques de l'État.