Plus d'un Américain vient d'apprendre l'existence d'une émission de téléréalité intitulée Duck Dynasty, qui raconte les aventures des Robertson, une famille de la Louisiane devenue riche en vendant des appeaux pour la chasse au canard.

Populaire auprès de la «vraie Amérique», pour employer une expression chère à Sarah Palin, la série de la chaîne câblée A&E a rassemblé 11,8 millions de téléspectateurs pour le début de sa quatrième saison en août, un record pour une émission de téléréalité. Mais elle attire l'attention d'un public encore plus vaste à la suite de la publication d'une entrevue accordée par Phil Robertson, patriarche de la famille louisianaise, au magazine GQ.

Chasseur doublé d'un évangéliste, l'homme de 67 ans à la longue barbe grise y tient des propos homophobes, qualifiant l'homosexualité de «péché» assimilable à la bestialité, s'étonnant tout haut qu'un homme puisse préférer l'anus d'un autre homme au vagin d'une femme, et affirmant que «les adultères, les idolâtres, les hommes prostitués, les délinquants homosexuels, les avares et les ivrognes n'héritent pas du royaume de Dieu».

Cela dit, il s'en remet «au Tout-Puissant pour juger».

Le 18 décembre, après les dénonciations d'associations homosexuelles, A&E a annoncé sa décision de suspendre «indéfiniment» la participation de Phil Robertson à Duck Dynasty. Les propos de la star de l'émission de téléréalité «ne reflètent absolument pas ceux de la chaîne, qui a toujours été un ardent soutien de la communauté homosexuelle», a-t-elle fait savoir dans un communiqué.

Levée de boucliers

La suspension du patriarche de West Monroe a aussitôt soulevé une autre vague de dénonciations, émanant cette fois-ci de personnalités conservatrices et de dizaines de milliers de téléspectateurs indignés, qui ont notamment signé une pétition réclamant le retour de Robertson.

Sarah Palin est évidemment montée au créneau, affirmant que ces «intolérants qui s'en prennent au patriarche pour avoir exprimé son opinion s'en prennent à nous tous». Notez que les intolérants ne sont plus ceux qui condamnent l'homosexualité, mais ceux qui condamnent l'homophobie.

Le gouverneur de la Louisiane Bobby Jindal et le sénateur du Texas Ted Cruz ont également défendu Robertson en invoquant la liberté de parole et la liberté de religion. Les deux politiciens républicains, faut-il préciser, sont d'éventuels candidats à la présidence.

Il va sans dire que Phil Robertson n'est pas la seule personne aux États-Unis à croire que l'homosexualité est un «péché». Selon un sondage publié en mai dernier par le Pew Research Center, 45% des Américains partagent l'opinion du prêcheur des bayous. Ils n'emploieraient sans doute pas le même ton et les mêmes mots que lui pour condamner les «comportements homosexuels», mais ils sont d'accord avec lui sur le fond de la question.

Et il se trouve que plusieurs d'entre eux regardent Duck Dynasty.

Cette réalité a sans doute contribué à la décision d'A&E de mettre un terme à la suspension de la star de l'émission, samedi. Les principes, c'est beau, mais les profits, c'est mieux.

«Le tournage de Duck Dynasty va reprendre au printemps avec la famille Robertson au complet. Duck Dynasty n'est pas une émission donnant le point de vue d'un homme seul. Elle est populaire car c'est une émission sur une famille que les États-Unis ont appris à aimer», a fait savoir la chaîne dans un communiqué.

Ah! Quelle belle famille!

Mais le vrai scandale est peut-être ailleurs. Dans son interview au GQ, Phil Robertson a aussi contesté le passé raciste de son patelin de Louisiane, où les lois ségrégationnistes ont succédé à l'esclavage jusqu'au milieu des années 60.

«Je n'ai jamais vu, de mes yeux vu, le mauvais traitement d'une seule personne noire. Pas une fois», a déclaré la vedette de Duck Dynasty en parlant de l'époque qui a précédé le mouvement des droits civiques des Noirs dans le sud des États-Unis. «Là où nous vivions, nous étions tous des fermiers... [Les Noirs] chantaient et étaient heureux. Je n'ai jamais entendu une seule personne noire dire: "Tu sais quoi, ces maudits Blancs" - pas un mot!»

Et Robertson d'ajouter: «Avant les programmes d'aide sociale, vous dites: étaient-ils heureux? Ils étaient pieux. Ils étaient heureux. Personne ne chantait le blues.»

Fait étonnant, les médias américains ont largement passé sous silence cette partie de l'entrevue de Robertson. Faut croire que l'expression d'un certain racisme est devenue encore plus tolérable que l'homophobie au pays de Sarah Palin.