«Des coups de feu ont été tirés!» Dans la salle de rédaction du Dallas Times Herald, cette annonce a lancé un jeune journaliste sur les traces des protagonistes d'une tragédie doublée d'une énigme qui, 50 ans plus tard, continue à fasciner les Américains.

Le matin du 22 novembre 1963, le Dallas Times Herald avait déployé des journalistes à plusieurs endroits du parcours que John F. Kennedy et son entourage devaient emprunter. Mais, à sa grande consternation, Darwin Payne n'était ni à l'aéroport Love Field, ni sur Dealey Plaza, ni au Trade Mart, où le président devait prononcer un discours.

«On m'avait demandé de rester dans la salle de rédaction pour écrire un papier sur la journée de Jackie [Kennedy] à partir des notes et observations de nos reporters sur le terrain», se souvient le natif de Dallas, alors âgé de 26 ans. «Le Times Herald étant un quotidien de l'après-midi, il fallait faire vite.»

Mais les cliquetis des machines à écrire se sont interrompus soudainement peu après 12 h 30. Dans la salle de rédaction du Times Herald, la voix du chef des nouvelles locales a alors retenti: «Le président a été touché!»

«Par quoi?», s'est aussitôt demandé Darwin Payne en pensant à la pancarte qu'une manifestante d'extrême droite avait assenée sur la tête de l'ambassadeur américain à l'ONU, Adlai Stevenson, lors de sa visite à Dallas, quatre semaines plus tôt.

«Des coups de feu ont été tirés!», a ajouté le chef des nouvelles avant de demander à son jeune reporter de se rendre sur Dealey Plaza, situé à cinq blocs de l'immeuble abritant le Times Herald.

Sur place, dans la plus grande confusion, Darwin Payne s'est mis à interviewer des témoins en pleurs et des policiers à la poursuite du tireur. Devant le dépôt de livres scolaires de Dallas, deux jeunes femmes lui ont refilé un tuyau irrésistible: leur patron filmait le cortège présidentiel lorsque les coups de feu ont retenti.

«Où est-il?», a demandé le journaliste.

«Dans l'immeuble d'à côté, au cinquième étage», a répondu l'une des femmes.

Rencontre avec Zapruder

Abraham Zapruder, fabricant de vêtements pour femmes, n'avait pas bougé de son bureau.

«Sa caméra reposait sur un meuble de classement, près d'une fenêtre ouverte», a rappelé Darwin Payne au cours d'une entrevue récente avec La Presse. «Il était bouleversé, avait du mal à retenir ses larmes. Mais il était facile de lui parler. Il répétait comment ce qui était arrivé était terrible, qu'il avait tout vu.»

Dans un coin du bureau, un téléviseur diffusait le reportage de CBS sur la tragédie de Dallas. En entendant Walter Cronkite annoncer que le président avait peut-être été grièvement blessé, Zapruder s'est exclamé: «Non, il est mort!»

Puis, en se tournant vers son visiteur, il a ajouté: «Je regardais par le viseur et j'ai vu sa tête exploser comme un pétard.»

Darwin Payne a relayé ces informations au Times Herald par téléphone. Il a aussi tenté de convaincre Zapruder de confier à son journal ce qui deviendrait le film amateur le plus célèbre de l'histoire américaine, un document de 26 secondes et 486 images qui allait alimenter la thèse du complot.

«Je suis resté entre 30 et 45 minutes avec lui, se souvient Payne. Je l'ai mis en contact téléphonique avec le propriétaire du Times Herald, mais il a refusé de nous confier son film. Il voulait le donner au FBI ou aux services secrets.»

En quittant le bureau d'Abraham Zapruder, Darwin Payne a suivi une dizaine de journalistes au sixième étage du dépôt de livres scolaires de Dallas, où la police venait de découvrir un fusil.

«Ils nous ont dit de ne rien toucher», raconte Darwin Payne en parlant des détectives qui escortaient les journalistes. «Ils nous ont montré les boîtes derrière lesquelles Oswald s'était caché, l'endroit où le fusil avait été trouvé et la fenêtre d'où les coups de feu avaient été tirés.»

«Hé, comme tu es pressé»

À 13 h 55, Lee Harvey Oswald était arrêté dans une salle de cinéma d'Oak Cliff, un arrondissement de Dallas, pour le meurtre d'un agent de police, J.D. Tippit, survenu environ 40 minutes plus tôt.

De retour à la salle de rédaction du Times Herald, Darwin Payne s'est vite vu remettre un bout de papier sur lequel le chef des nouvelles locales avait inscrit un numéro et un nom de rue: 1026, North Beckley. C'était l'adresse de la maison où Oswald louait une chambre. Le reporter s'y est rendu pour interviewer la logeuse et ses autres locataires.

«La logeuse m'a dit qu'Oswald était passé en coup de vent à la maison après l'assassinat de Kennedy. Bien sûr, elle ne savait pas encore qu'il était impliqué dans cette affaire. Elle lui a simplement dit: ''Hé, comme tu es pressé.''»

Oswald est reparti avec une veste grise et le pistolet avec lequel il allait abattre l'agent Tippit.

«Les autres locataires m'ont dit qu'ils ne connaissaient pas bien Oswald, qu'il était distant. Parfois, il se rendait dans le salon pour utiliser le téléphone. Il parlait dans une langue que les autres ne reconnaissaient pas. Il parlait évidemment en russe avec sa femme Marina, de laquelle il était séparé.»

Darwin Payne a utilisé ces quelques informations dans un long article sur Oswald publié le lendemain de la mort de JFK dans le Times Herald. Il y racontait notamment la défection en URSS de l'ex-marine.

«J'ai écrit cet article du mieux que je le pouvais en sachant que ce serait important, se rappelle Payne. Quand le journal est sorti de presse, j'ai vu que l'article n'était pas signé. J'étais terriblement contrarié. Mais je n'ai rien dit parce que les signatures n'étaient pas automatiques à l'époque. Heureusement, le chef des nouvelles locales a vu les premières copies et s'est assuré qu'on ajoute ma signature pour les suivantes.»

Il y a 20 ans, Darwin Payne a réuni 60 journalistes, photographes et caméramans à l'occasion d'une conférence à l'Université Southern Methodist de Dallas, où il a enseigné le journalisme pendant plus de 30 ans. Les participants avaient tous en commun d'avoir couvert l'assassinat de JFK.

«Cela a été pour eux tous un moment déterminant de leur vie, une expérience journalistique dont ils savaient qu'elle ne se répéterait probablement pas. Je n'ai, pour ma part, jamais couvert une histoire plus importante», dit Darwin Payne sur le ton neutre qui le caractérise.

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Le journaliste Darwin Payne devant l'Université Southern Methodist de Dallas, où il a enseigné pendant 30 ans.

De JFK à Obama

Le 14 mai 1961. En Alabama, un autocar rempli de jeunes est incendié. Il transportait des Freedom Riders, ces militants pour les droits civiques qui veulent mettre à l'épreuve la décision de la Cour suprême interdisant la ségrégation raciale dans les cars faisant la navette entre les États.

Qu'en pense Robert Kennedy? Le ministre de la Justice américain fait une prédiction audacieuse lors d'une interview à Voice of America: «Il n'y a pas de doute que, dans les 30 ou 40 prochaines années, un Noir pourra atteindre la même position que mon frère a [atteinte] à titre de président des États-Unis.»

Il se sera trompé de quelques années. Mais sa prédiction et les liens de sa famille avec le combat des Noirs expliquent en partie pourquoi le clan Kennedy a réagi avec enthousiasme à l'ascension de Barack Obama.

Outre leur idéalisme, John Kennedy et Barack Obama avaient en commun l'éloquence et un handicap prétendument majeur, la religion pour JFK et la race pour BHO.

Barack Obama avait 2 ans quand John Kennedy est mort. Il ne peut donc pas se vanter de l'avoir rencontré. Mais il a vanté le président assassiné dans son livre L'audace d'espérer. Et, à son arrivée au Sénat, il a cherché conseil auprès de son frère cadet, Edward Kennedy.

De tous les successeurs démocrates de John Kennedy, Barack Obama est celui qui l'a cité le moins souvent. Et il a raté une belle occasion d'établir un lien entre un moment fort de sa présidence - l'élimination d'Oussama ben Laden - et JFK, à l'origine de la création des Navy Seals, qui ont mené l'opération clandestine.

Le président Obama n'a cependant pas oublié les Kennedy. Il a notamment conservé le Resolute desk, bureau que JFK avait fait entrer dans le Bureau ovale en 1961. Et il a nommé Caroline Kennedy au poste d'ambassadrice des États-Unis au Japon.

Cela dit, en matière de fidélité, Barack Obama reste aux antipodes de JFK. Le soir de son investiture, le 35e président avait eu des rapports sexuels avec au moins deux femmes, dont l'actrice Angie Dickinson, qui allait revenir avec humour sur ces «15 secondes les plus mémorables de [sa] vie».

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Un « X» sur la chaussée marque l'endroit du tir mortel, rue Elm, à Dallas. En l'arrière-plan, le dépôt de livres scolaires d'où les balles ont été tirées.

Conspiration, quand tu nous tiens!

Qui a tué JFK? Cinquante ans après l'assassinat, 59 % des Américains refusent toujours de croire que Lee Harvey Oswald a agi seul, selon un sondage AP-GfK. Ce scepticisme persiste malgré l'enquête exhaustive menée par Vincent Bugliosi, homme de loi américain qui a fait sienne la version officielle dans Reclaiming History, brique de 1600 pages où l'ancien procureur analyse tous les aspects de l'assassinat et les théories de conspiration qu'il a fait naître. Voici les trois théories les plus populaires auprès des Américains, selon un sondage Gallup.

La mafia a tué JFK

Les variations sur ce thème sont innombrables. Elles ont comme protagonistes Carlos Marcello, chef de la mafia de La Nouvelle-Orléans, Santos Trafficante, chef de la mafia de Miami, et Jimmy Hoffa, président du syndicat des Teamsters. Ces trois hommes avaient «le motif, les moyens et l'occasion» de tuer John Kennedy, selon une commission de la Chambre des représentants chargée en 1976 d'enquêter sur les assassinats de JFK et de Martin Luther King. En se fondant principalement sur une preuve acoustique, la commission a conclu que le président avait probablement été tué dans le cadre d'une conspiration.

Selon cette théorie, d'autres figures mafieuses auraient trempé dans la conspiration, y compris Sam Giancana, parrain de Chicago. Après avoir aidé la CIA dans ses plans d'assassiner Fidel Castro ou JFK dans le trucage des résultats de l'élection présidentielle de 1960, Giancana et compagnie se seraient sentis trahis par la croisade de Robert Kennedy, alors ministre de la Justice, contre le crime organisé. Lee Harvey Oswald n'aurait été dans cette affaire qu'un «gogo» dont l'élimination, deux jours après l'assassinat, aurait été confiée à Jack Ruby, propriétaire d'une boîte de nuit à Dallas, qui avait des liens avec le monde interlope.

La CIA a tué JFK

«Je vais briser la CIA en mille morceaux et l'éparpiller aux quatre vents.» John Kennedy aurait prononcé ces paroles après le fiasco de la baie des Cochons, tentative d'invasion militaire de Cuba par des exilés cubains soutenus par la CIA en avril 1961. Le président ne s'était pas contenté de tempêter contre l'agence de renseignement. Il avait congédié son chef, Allen Dulles, et ses principaux adjoints. Et Dieu sait s'il n'allait pas mettre sa menace à exécution.

Pour l'en empêcher, des agents dévoyés ont décidé d'éliminer JFK, selon une thèse du complot. Ils ont déployé des tireurs d'élite autour de Dealey Plaza ou fait appel à Lee Harvey Oswald, un ex-marine qui avait été affecté en 1957 et 1958 à la base aérienne d'Atsugi, au Japon, emplacement d'une importante station de la CIA. D'autres «coïncidences» alimentent cette thèse du complot, dont celles-ci: Earle Cabell, maire de Dallas, était le frère de Charles Cabell, directeur adjoint de la CIA congédié par JFK; Dulles, chef de la CIA congédié par JFK, a fait partie de la commission Warren qui a conclu qu'Oswald avait agi seul.

LBJ a tué JFK

À qui profite le crime? Sur un plan personnel, la réponse est claire, selon certains théoriciens du complot: Lyndon Johnson (LBJ). En novembre 1963, le vice-président était sur le point d'être rattrapé par des scandales. Le magazine Life s'apprêtait à publier une enquête sur les malversations qui l'avaient enrichi au Texas. Et le Sénat avait entamé une enquête sur son protégé, Bobby Baker, qui occupait alors le poste de secrétaire de la Chambre haute et qui connaissait tous ses secrets.

LBJ aurait donc orchestré l'assassinat de John Kennedy, craignant que les révélations à venir n'incitent le président à le larguer à l'approche de l'élection de 1964 ou qu'elles ne le conduisent en prison. Cette théorie est défendue par un ancien conseiller de Richard Nixon, Roger Stone, qui vient de faire paraître un livre intitulé The Man Who Killed JFK. Stone prête notamment foi au témoignage de Madeleine Brown, une Texane qui a prétendu en 1982 avoir été la maîtresse de Johnson durant près de 20 ans. À la veille de l'assassinat de JFK, LBJ lui aurait confié: «Après demain, ces putains de Kennedy ne me gêneront plus. Ce n'est pas une menace, c'est une promesse.»

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Vue sur l'entrée de l'urgence de l'hôpital Parkland, où JFK a été déclaré mort.