Les États-Unis espéraient profiter à Genève de l'empressement de l'Iran, étranglé par les sanctions, pour sceller un accord sur son programme nucléaire, au risque de se brouiller avec Israël et l'Arabie saoudite opposés à tout règlement, soulignent des analystes.

Aux yeux de ces experts interrogés par l'AFP au lendemain de l'échec de Genève, Téhéran est bien «plus pressé» que Washington de conclure un arrangement provisoire avec les grandes puissances, les Américains voulant, eux, «tirer avantage» de cette fenêtre diplomatique avec l'Iran et éviter ainsi une nouvelle guerre au Proche-Orient.

En cherchant une entente dans la ville suisse, «les États-Unis ont peut-être tenté d'aller un peu trop loin et un peu trop vite, mais ils ont été entraînés par l'enthousiasme des Iraniens», décrypte Hussein Ibish du centre de réflexion American Task Force on Palestine.

Pour l'expert, «c'est vraiment la convergence des désirs iraniens et américains d'éviter une confrontation qui rend possible un accord» après dix ans d'impasse sur le casse-tête du programme nucléaire de Téhéran, soupçonné d'avoir des visées militaires sous le couvert d'activités civiles.

Alireza Nader, spécialiste au centre d'études RAND Corporation, conteste aussi l'idée d'«une précipitation des États-Unis» à s'entendre à tout prix avec l'Iran, avec qui les relations diplomatiques sont rompues depuis 1980.

Malgré l'éclaircie depuis l'appel téléphonique fin septembre entre les présidents Barack Obama et Hassan Rohani, les rapports restent empreints d'une grande méfiance et plus de 30 ans de confrontation et de rancoeur empêchent pour l'instant de reconstruire une relation de confiance.

Mais cela n'aurait pas dû bloquer un «bon accord» provisoire à Genève «qui limite l'enrichissement d'uranium» et marque un «premier pas pour stopper l'avancée de l'Iran vers la capacité à produire des armes nucléaires», déplore M. Nader.

Il rappelle que l'administration Obama a toujours privilégié la voie diplomatique pour régler la crise nucléaire. «Ce n'est pas la position des États-Unis qui a changé ces derniers mois», mais c'est bien plutôt «l'Iran (qui) veut maintenant négocier», souligne l'expert.

De fait, Téhéran espère un allègement «limité et réversible» de certaines sanctions qui étouffent son économie. En particulier celles qui ont abouti au gel des avoirs dans des banques de pays tiers mais pas aux États-Unis, les sommes en jeu représentant des dizaines de milliards de dollars.

Le secrétaire d'État John Kerry, qui s'était rendu en urgence à Genève vendredi avec ses homologues du 5+1, s'est d'ailleurs défendu dimanche d'avoir cherché à précipiter un accord avec l'Iran, assurant que les États n'étaient ni «aveugles» ni «stupides» dans leurs pourparlers historiques.

Il a aussi envoyé un nouveau message à Israël et à l'Arabie saoudite, qui s'alarment d'un rapprochement entre les États-Unis et l'Iran, affirmant être «parfaitement en mesure d'évaluer si nous agissons dans l'intérêt de notre pays et du reste du globe, en particulier de nos alliés comme Israël et les pays du Golfe».

«Angoisse» d'Israël et de l'Arabie saoudite

Les analystes relèvent en effet qu'Israël et l'Arabie saoudite «ne veulent pas d'un accord» entre Washington et Téhéran.

«Les Israéliens et les Saoudiens ont tous les deux fait savoir qu'ils voulaient que les États-Unis fassent la guerre à l'Iran. S'il y a un accord, il n'y aura pas de guerre et c'est pour cela qu'ils sont contrariés», accuse Titra Parsi, président du groupe de pression et de réflexion National Iranian American Council.

M. Nader décèle également de «l'angoisse» chez les Israéliens et les Saoudiens, au cas où, à la faveur d'une «amélioration des relations américano-iraniennes à leur détriment», l'Iran briserait son «isolement» et jouerait «un plus grand rôle sur la scène régionale».

Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a martelé qu'il ferait «tout pour convaincre les grandes puissances d'éviter de conclure un mauvais accord» avec l'ennemi iranien, quitte à jouer de son influence au Congrès américain, dont une partie veut des sanctions renforcées.

Du côté du Golfe, il y a «une perte de confiance dans les États-Unis en tant que garants de l'ordre régional», analyse M. Ibish. «Les Saoudiens commencent à se demander pourquoi les États-Unis récompensent leurs ennemis et punissent leurs amis», pointe le spécialiste.