Le lobby du tabac et ses alliés parmi les propriétaires et clients des bars et restaurants de New York étaient aux abois. En interdisant la cigarette dans ces établissements privés, Michael Bloomberg ne se livrait pas seulement à un harcèlement sans précédent des fumeurs. Il menaçait également la vie nocturne de la ville dont il venait d'être élu maire.

La menace ne s'est pas concrétisée, tant s'en faut. Depuis le 30 mars 2003, date de l'entrée en vigueur de la réglementation controversée, le nombre de bars et restaurants de New York a augmenté de 6000, ce qui représente 43%. Quant aux fumeurs new-yorkais, ils ne sont plus aussi nombreux à se plaindre d'être harcelés, et pour cause. Depuis 2002, environ 500 000 habitants de la Grosse Pomme ont tourné le dos à la cigarette, une décision qui tient aussi aux augmentations des taxes sur le tabac décrétées à répétition par la Ville.

La croisade de Michael Bloomberg contre la cigarette n'a pas seulement transformé l'air de New York, où le pourcentage des fumeurs a atteint un plancher historique en 2011 (14%). Elle a également inspiré plus de 500 villes américaines, 35 États et 48 pays, qui ont adopté des lois antitabac aussi restrictives que celle de la Grosse Pomme.

Mais se peut-il que cette campagne ait également contribué à l'augmentation de l'espérance de vie à New York, qui s'établissait à 80,9 ans en 2011, soit trois ans de plus qu'en 2001 et 2,2 ans de plus que la moyenne nationale? Linda Fried, doyenne de l'École de santé publique de l'Université Columbia, en est persuadée.

«Une grande partie de l'augmentation de l'espérance de vie sous l'administration de Michael Bloomberg est le résultat d'interventions qui ont diminué les décès dus aux maladies du coeur, au cancer, au VIH et aux accidents», a-t-elle répondu à La Presse en mentionnant notamment les lois antitabac de New York, où il est également interdit de fumer dans les parcs et sur les plages depuis 2011.

Comme dans plusieurs autres villes américaines, les électeurs de New York iront aux urnes mardi prochain pour élire un nouveau maire, Michael Bloomberg n'ayant pas le droit de solliciter un quatrième mandat. L'heure est donc au bilan pour cet homme d'affaires et milliardaire dont le premier mandat a commencé dans les pires circonstances imaginables. À peine remis des effets d'une récession nationale, New York encaissait le choc psychologique et économique provoqué par les attentats du 11 septembre 2001.

Douze ans plus tard, Michael Bloomberg a transformé New York comme peu de ses prédécesseurs ont réussi à le faire. Il a augmenté de 3,2 km carrés la superficie des parcs de la ville, approuvant notamment le High Line, une réussite incontestable. Il a ajouté 460 kilomètres de pistes cyclables, adopté le BIXI, un franc succès, et créé une zone piétonnière à Times Square.

Il a changé le zonage de Queens et de Brooklyn pour permettre la construction de tours d'habitation le long de l'East River. Il a pris les rênes des écoles publiques de New York, dont le taux de remise de diplômes a augmenté de 39% entre 2005 et 2012.

Il a contribué à la création 405 400 emplois depuis décembre 2001, soit près de 10% des emplois créés aux États-Unis pendant cette période. Il a donné le feu vert à des projets ambitieux, qui ne verront le jour qu'après son départ de la mairie, dont la construction d'un campus technologique à Roosevelt Island.

Ses détracteurs, dont Bill de Blasio, le candidat favori à sa succession, lui reprochent d'avoir privilégié Manhattan et les New-Yorkais plus fortunés. Ils lui font probablement un mauvais procès, oubliant notamment que Brooklyn est l'arrondissement qui a le plus prospéré au cours des 12 dernières années.

Mais un des héritages les plus singuliers de ce maire hors série tiendra sans doute aux effets de ses politiques sur la longévité des New-Yorkais. Linda Fried, de l'Université Columbia, ne salue pas seulement les lois antitabac. Elle souligne également l'importance des mesures ayant prolongé le réseau de pistes cyclables, banni l'utilisation d'acides gras insaturés dans les restaurants et obligé les chaînes à afficher le nombre de calories des plats.

«Tous les départements ont assumé la responsabilité d'améliorer la santé, sous la direction du département de la Santé», a estimé la professeure de médecine et d'épidémiologie, soulignant notamment le travail du département des Transports, qui a réduit le nombre de pertes de vie causées par des accidents de la route.

Michael Bloomberg soulignerait sans doute de son côté le travail des policiers de New York, dont les méthodes ont contribué selon lui à la chute spectaculaire des homicides à New York.

Il pourrait même se vanter, un jour, d'avoir été le maire qui prolongeait les vies.