Parions que Barack Obama n'osera pas répéter aujourd'hui sa comparaison entre le lancement d'iOS7, le nouveau système d'exploitation d'Apple, et celui de Healthcare.gov, le site internet qui devrait permettre à des millions d'Américains d'adhérer à son système d'assurance maladie.

«Au bout de quelques jours, ils ont trouvé un bogue, qu'ils ont réparé. Je ne me rappelle pas que quiconque ait suggéré à Apple d'arrêter de vendre des iPhones ou des iPads ou de faire fermer le groupe s'il ne le faisait pas», a déclaré le père de l'Obamacare, le 1er octobre, jour d'inauguration chaotique pour Healthcare.gov.

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Trois semaines plus tard, les mots «échec», «désastre» et «catastrophe» sont utilisés pour décrire le site du gouvernement fédéral, destiné à gérer les marchés d'assurance maladie en ligne de 36 États (les 14 autres États américains ont choisi de créer leurs propres sites, dont le fonctionnement est supérieur). Les utilisateurs de Healthcare.gov se butent encore à des messages d'erreur, des écrans figés ou des ralentissements fréquents.

Pas sûr que les clients d'Apple auraient enduré pareils dysfonctionnements pendant trois semaines.

Barack Obama tentera sans doute de relativiser les problèmes techniques rencontrés par Healthcare.gov lorsqu'il abordera aujourd'hui cette question à l'occasion d'une activité à la Maison-Blanche. Son administration a d'ailleurs publié samedi une donnée destinée à rassurer le public: depuis le 1er octobre, 467 000 Américains se sont inscrits au nouveau système d'assurance maladie par le biais des sites mis sur pied par le gouvernement fédéral ou les États.

Mais cette donnée ne dit pas combien d'Américains ont réussi à souscrire à une assurance maladie subventionnée qui entrera en vigueur le 1er janvier 2014. Les chiffres officiels sur le mois d'octobre ne seront pas diffusés avant la mi-novembre. En attendant, retenons une autre donnée cruciale: selon le Bureau du budget du Congrès (CBO), 7 millions d'Américains devraient adhérer à l'Obamacare au cours des six prochains mois.

Le rôle de CGI

Or, les problèmes rencontrés par Healthcare.gov pourraient non seulement compromettre la prévision du CBO, mais également la réputation du groupe montréalais CGI, dont la filiale américaine, CGI Federal, a conçu en grande partie le site du gouvernement fédéral. La semaine dernière, le Washington Post a présenté CGI Federal comme la «compagnie derrière le lancement raté de Healthcare.gov». Son reportage était accompagné par une photo de Serge Godin, grand patron de CGI.

Ces jours-ci, CGI Federal refuse de commenter les problèmes de Healthcare.gov, dont il serait au demeurant injuste de lui imputer l'entière responsabilité. Plusieurs facteurs ont contribué au départ chaotique du site, dont l'opposition à la Loi sur la santé des gouverneurs républicains. L'administration Obama a elle-même évoqué le nombre inattendu de visiteurs, 14,6 millions, lors des premiers jours. Une ruée dont elle s'est d'abord réjouie en y voyant la preuve d'une très grande demande.

L'administration a ensuite reconnu que ses contractants, dont CGI Federal, n'avaient pas eu assez de temps pour produire un site capable de répondre à la demande à partir du 1er octobre. Selon la responsable du chantier, la secrétaire à la Santé Kathleen Sebelius, il aurait fallu consacrer cinq années à la construction du marché d'assurance maladie en ligne et une autre à sa mise à l'essai. Au lieu de cela, «nous avons eu deux ans et presque aucune mise à l'essai», a-t-elle déclaré la semaine dernière au Wall Street Journal, tout en rejetant les appels à sa démission lancés par des élus républicains du Congrès.

Au second plan

L'ironie veut que la paralysie partielle de l'État fédéral ait relégué au second plan les cafouillages de l'Obamacare, une réforme dont les républicains issus du Tea Party voulaient stopper ou retarder la mise en application.

«Ce qui me brise le coeur, c'est que nous éclipsons totalement le fait que le lancement de l'Obamacare a été mené de manière catastrophique», se lamentait sur ABC le sénateur républicain de Caroline-du-Sud, Lindsey Graham, au beau milieu de la crise budgétaire.

Bien sûr, le site Healthcare.gov n'est pas la première initiative du gouvernement fédéral américain à connaître des débuts difficiles. Plusieurs experts rappellent notamment que le programme d'assurance maladie Medicare pour les personnes âgées n'avait pas été un succès instantané. Il est pourtant considéré aujourd'hui comme une «vache sacrée» aux États-Unis.

Mais l'Obamacare n'est pas encore rendu là, loin de là. Et Barack Obama devrait reprendre aujourd'hui, à quelques détails près, les propos tenus samedi par un responsable de son administration à propos du site Healthcare.gov: «Le site web est inacceptable, et nous travaillons à l'améliorer, mais le produit est bon et les Américains vont avoir accès à un système de santé abordable à partir du 1er janvier.»

On verra bien.