Cramponnez-vous: les États-Unis s'apprêtent à vivre un nouveau psychodrame autour de leur dette publique, dont la limite légale de 16 700 milliards de dollars sera atteinte le 17 octobre. Faute d'un accord au Congrès autorisant le relèvement du plafond de l'endettement, l'économie américaine subira un choc qui sera ressenti dans le monde entier.

Entre-temps, les élus démocrates et républicains du Congrès sont engagés dans un nouveau bras de fer budgétaire qui pourrait mener à la paralysie partielle de l'État fédéral à partir de mardi. Une entente de dernière heure pourrait évidemment intervenir, tant sur le budget que sur la dette, comme cela s'est produit souvent à Washington au cours des dernières années.

À deux jours de la première date butoir, une seule chose semble certaine: les élus du Congrès américain éviteront soigneusement les solutions les plus susceptibles d'améliorer la viabilité des finances publiques à long terme.

Pourquoi, demandez-vous?

«Nous avons tendance à attendre d'être en situation de crise pour nous attaquer à nos problèmes», répond Roberton Williams, expert au Tax Policy Center, organisme indépendant de Washington. «Or, il n'y a pas de crise aujourd'hui.»

La déclaration de ce chercheur peut sembler paradoxale. Après tout, les médias n'hésiteront pas à utiliser le mot «crise» dans l'éventualité où le Congrès refuserait de relever le plafond de la dette. Les États-Unis pourraient alors se trouver en défaut de paiement, incapables d'honorer l'ensemble de leurs engagements. Et ils pourraient subir une décote, comme cela s'est produit lors du psychodrame d'août 2011.

Mais il s'agirait d'une crise relevant d'une stratégie politique, adoptée par les élus républicains les plus radicaux, et non pas des finances publiques comme telles.

«À court terme, la situation n'est pas trop mauvaise, explique Roberton Williams. Ce n'est que dans 10, 15 ou 20 ans que les choses se gâteront vraiment.»

Chute-surprise du déficit

Doug Elmendorf, directeur du Bureau du budget du Congrès (CBO), est arrivé à la même conclusion le 17 septembre en présentant son rapport annuel. Selon l'agence indépendante, le déficit de l'État fédéral devrait atteindre 3,9% du produit intérieur brut (PIB) cette année (contre 7% en 2012), avant de poursuivre son déclin spectaculaire jusqu'en 2016 où il devrait encore reculer à 2,2%. Tout ratio inférieur à 3% est jugé soutenable par la plupart des économistes.

«La fin des mesures prises en réponse aux faiblesses de l'économie et d'autres changements dans les impôts et les dépenses ont fait reculer le déficit», peut-on lire dans le rapport du CBO, qui fait notamment allusion aux coupes budgétaires massives et automatiques entrées en vigueur en mars.

Mais les déficits recommenceront à augmenter dans la deuxième moitié de la décennie sous l'effet du vieillissement de la population, de la hausse des dépenses de santé et des charges de la dette. En 2017, l'écart entre recettes et dépenses de l'État se situera à 2,3% du PIB avant d'atteindre 3,3% en 2023, 5% en 2029 et 6,4% en 2038.

La dette de l'État fédéral dite «détenue par le public» représentera alors au moins 100% du PIB, alors qu'elle se situe à 73% du PIB en 2013, selon le CBO (cet indicateur n'inclut pas les dettes internes de l'État fédéral).

«La conclusion reste identique à celle de l'année dernière: le budget fédéral est sur une trajectoire qui ne pourra pas être maintenue durablement», a déclaré Doug Elmendorf, directeur du CBO, lors d'une conférence de presse la semaine dernière.

«En tant que société, nous avons un choix fondamental à faire: réduire les dépenses de ces programmes ou augmenter les impôts pour les financer. Jusqu'à présent, nous n'avons fait que très peu l'un ou l'autre», a-t-il ajouté.

Blocage politique

En fait, les élus démocrates et républicains du Congrès ont rejeté tout compromis susceptible d'assurer la pérennité des trois grands programmes sociaux générateurs de déficits sur le long terme.

Ces programmes - Social Security (retraite publique), Medicare (assurance maladie des personnes âgées) et Medicaid (assurance maladie des personnes pauvres ou handicapées) - accaparent aujourd'hui 41% du budget fédéral (contre 19% pour la Défense, par exemple). Ajoutée au paiement des intérêts de la dette, cette part du budget représentera 100% des recettes de l'État fédéral en 2025, selon les projections du CBO.

Le blocage politique sur la question de la dette américaine tient en partie au refus de toute augmentation de la fiscalité de la part des parlementaires républicains, surtout ceux de la Chambre des représentants.

«Notre problème de la dette pourrait être réglé par une modeste hausse d'impôts qui maintiendrait les impôts des États-Unis à un niveau très inférieur à ceux du Canada et de la plupart des pays», dit Scott Lilly, expert au Center for American Progress, groupe de recherche progressiste.

Il déplore l'émergence d'une «faction extrémiste» au sein du Parti républicain, qui contribue selon lui à rendre les États-Unis ingouvernables.

«Nous sommes rendus à un point où ce pays a les plus grandes difficultés à accomplir les choses les plus simples, y compris financer le gouvernement au jour le jour», dit-il.

De leur côté, les parlementaires démocrates (et la Maison-Blanche) refusent toute réforme des grands programmes de l'État providence sans hausse de la fiscalité.

«Aucun des deux partis ne veut faire de compromis, dit Roberton Williams, expert du Tax Policy Center. Avant de bouger, ils attendront probablement que la dette soit devenue si importante qu'ils ne peuvent plus l'ignorer, que les charges de la dette soient devenues insupportables, que le dollar soit sous pression. Évidemment, le plus simple serait de commencer à s'attaquer au problème maintenant.»