Le bain de sang en Égypte met la diplomatie américaine et ses contradictions au pied du mur, Washington ayant soutenu de facto le coup d'État contre Mohamed Morsi tout en appelant au retour à la démocratie.

Face à la crise de leur allié égyptien, les États-Unis sont en fait dans l'embarras depuis la révolte du Printemps arabe et le renversement de Hosni Moubarak début 2011. Pour des experts, les Américains sont pris en étau depuis deux ans et demi entre les Frères musulmans du président Morsi -- élu démocratiquement au printemps 2012, destitué et détenu depuis début juillet -- et les «anti-islamistes libéraux» emmenés par l'armée qui ont repris le pouvoir à la faveur du coup d'État.

Après un mois de poussée de fièvre, les forces de l'ordre ont dispersé mercredi des rassemblements pro-Morsi, faisant au moins 149 morts. Les autorités ont décrété l'état d'urgence.

Cet assaut a été condamné par la communauté internationale, mais Washington a mis des heures à réagir, signe de son embarras.

Les États-Unis ont fini par «condamn(er) avec force l'usage de la violence contre les manifestants en Égypte».

«Nous n'avons cessé d'appeler l'armée et les forces de sécurité égyptiennes à faire preuve de retenue, et le gouvernement à respecter les droits universels de ses administrés, comme nous avons exhorté les manifestants à protester pacifiquement», a martelé le porte-parole adjoint de la Maison-Blanche, Josh Earnest.

Washington assure officiellement ne pas prendre parti dans la crise égyptienne.

«Les États-Unis se trouvent dans une situation extrêmement délicate parce qu'ils ont en fait très peu d'influence et de moyens de pression», pointe Hussein Ibish, spécialiste du monde arabe et chercheur à l'American Task Force on Palestine de Washington.

1,3 milliard de dollars d'aide

Alliés pendant 30 ans du régime autoritaire et pro-occidental Moubarak, les États-Unis sont depuis deux ans et demi face à un dilemme: comment soutenir les aspirations démocratiques d'une partie des Égyptiens tout en ménageant les autorités de l'un de leurs plus proches partenaires du monde arabe, lié de surcroît à Israël par un traité de paix.

Aux yeux de M. Ibish, «les Américains sont coincés entre (...) les Frères musulmans et les anti-islamistes», pris en étau entre «deux conceptions opposées de la démocratie» en Égypte, explique l'analyste à l'AFP. Les États-Unis «ont le sentiment de ne pas avoir d'alliés naturels», tant du côté des militaires que des Frères musulmans, poursuit M. Ibish.

Sous l'ère Morsi, Washington a marché sur des oeufs, travaillant avec le régime islamiste de la «nouvelle Égypte», plaidant pour la démocratisation et le développement économique. Le secrétaire d'État John Kerry s'était rendu au Caire en mars pour y laisser un chèque de 250 millions de dollars d'assistance budgétaire.

M. Kerry avait aussi renouvellé son soutien aux militaires en débloquant en mai le 1,3 milliard de dollars d'aide militaire annuelle, faisant de l'armée égyptienne la deuxième récipiendaire de l'assistance américaine, après Israël. La livraison de quatre avions F-16 a toutefois été reportée.

Au printemps, M. Kerry s'était ému de la «trajectoire» autoritaire de M. Morsi et on laissait de plus en plus entendre à Washington qu'une intervention des militaires était dans l'air.

D'ailleurs début août, M. Kerry avait semblé appuyer le renversement de M. Morsi, affirmant que l'armée était intervenue pour «rétablir la démocratie» à la demande de «millions et de millions de gens». Il avait ensuite rétropédalé en appelant à la reprise d'un processus «démocratique» via des élections.

Le gouvernement américain évite aussi soigneusement d'employer le terme de «coup d'État» pour ne pas devoir couper le 1,3 milliard de dollars: la loi stipule que toute aide doit être suspendue en cas de renversement d'un gouvernement civil par une armée.

En avril devant le Sénat, M. Kerry avait encore salué le rôle décisif joué selon lui par les hauts gradés égyptiens pour éviter une guerre civile après la chute de Moubarak. Il avait même jugé que l'aide militaire au Caire était le «meilleur investissement que l'Amérique ait réalisé dans la région».

«L'une des caractéristiques les plus effrayantes du coup d'État égyptien (...), c'est cette conception universelle qu'adoptent les libéraux de ce pays et qui veut qu'un régime militaire soit préférable à un régime d'islamistes élus», déplore l'expert James Traub sur son blogue du magazine Foreign Policy.