Assez, c'est assez. C'est le message qu'a voulu envoyer Barack Obama, hier, en annulant une rencontre prévue avec le président russe Vladimir Poutine. Le geste a été jugé "significatif" par les experts et témoigne d'une dégradation rapide des relations entre les États-Unis et la Russie.

Des représentants de la Maison-Blanche ont confirmé hier que M. Obama se rendra en septembre à Saint-Pétersbourg, en Russie, pour participer au sommet du G20. Mais le président américain annule la rencontre qu'il devait avoir en tête à tête avec M. Poutine à Moscou. Il boudera aussi les évènements qui se tiendront en marge du sommet.

«C'est un camouflet que M. Obama envoie à M. Poutine, analyse Jacques Lévesque, professeur émérite de sciences politiques à l'UQAM. Mais ce dernier s'attendait certainement à cette réaction.»

Selon Aurel Braun, professeur invité à l'Université Harvard et spécialiste des relations internationales à l'Université de Toronto, le refus d'Obama de rencontrer Poutine n'est pas banal. «C'est un petit geste, mais il est significatif, dit-il. Il doit être compris dans le contexte où M. Obama a été extrêmement réticent dans le passé à afficher un déplaisir public envers Moscou.»

La décision américaine est une réaction à ce qui a été interprété comme l'ultime geste de provocation de Moscou: la décision d'accorder l'asile à Edward Snowden, cet ex-consultant de la National Security Agency recherché par Washington pour avoir révélé que le gouvernement américain accumule des données sur les conversations téléphoniques de ses citoyens.

Jacques Lévesque rappelle que bien des pays, dont la Chine, l'Équateur, le Venezuela et Cuba, n'ont pas osé provoquer la colère de Washington dans ce dossier. «Du point de vue international, c'est un coup de maître de Poutine. Il se positionne comme le seul pays au monde capable de résister aux pressions et diktats des États-Unis», analyse l'expert. Il croit que le geste sera aussi payant pour Poutine en Russie même. En plus d'être perçu comme un acte de résistance envers les États-Unis, ce geste vaudra à Poutine la sympathie des organisations des droits de la personne, qui considèrent Snowden comme un héros de la libre circulation d'information.

Selon M. Lévesque, Poutine peut se permettre de provoquer Washington parce qu'il n'est en demande sur aucun dossier important et n'a rien à perdre à court terme.

Mais Aurel Braun, de l'Université de Toronto, croit que Moscou joue un «jeu dangereux». «Dans une guerre diplomatique, celui qui a le plus à perdre est le plus faible, dit-il. Et il est clair que la Russie n'a pas la puissance des États-Unis.»

Selon lui, la Russie a actuellement besoin de s'intégrer à l'économie mondiale et d'attirer des investissements étrangers. Il croit que l'attitude de Poutine nuit à ces objectifs.

«Poutine a déjà été un pragmatique, dit-il. Mais il a pris goût au pouvoir et se trouve aujourd'hui dans un état exalté et fantaisiste qui lui fait croire qu'il dirige une superpuissance et qu'il peut se permettre de narguer les Américains.»

Selon les experts, ce nouveau froid entre Moscou et Washington risque de nuire à l'avancement de plusieurs dossiers internationaux, de la Syrie à l'Iran en passant par le désarmement nucléaire.

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Cinq différends Moscou-Washington

Edward Snowden

La décision de Moscou d'offrir l'asile à ce dénonciateur qui a révélé le scandale de la NSA a « ajouté l'insulte à l'injure » aux yeux des Américains, selon Aurel Braun, professeur à l'Université de Toronto. Vladimir Poutine, régulièrement accusé de bafouer les droits de l'homme, peut ainsi se poser en défenseur du droit de la libre circulation d'information, ce qui agace considérablement Washington.

La Syrie

Le soutien de Moscou au régime du président syrien Bachar al-Assad irrite Washington depuis maintenant plus de deux ans. La Russie n'a jamais nié vendre des armes à la Syrie. Surtout, elle se sert de son siège au Conseil de sécurité de l'ONU pour opposer son veto à toute sanction envers le régime Assad. Le mois dernier, la Russie a obtenu que toute demande de démission de Bachar al-Assad soit retirée d'un communiqué du G8.

La défense antimissile

Les États-Unis et la Russie s'entendent sur la nécessité de réduire leur arsenal d'armes nucléaires, mais Moscou pose comme condition que la défense antimissile des États-Unis soit aussi visée par une réduction. Washington refuse de s'engager dans un traité contraignant et affirme ne pas vouloir faire de concession sur le sujet.

Droits de l'homme

La Maison-Blanche a invoqué hier la question des droits de l'homme pour justifier le refus de Barack Obama de rencontrer Vladimir Poutine. Celui-ci a notamment multiplié les contrôles envers les organisations non gouvernementales et compliqué la vie de celles qui reçoivent du financement étranger. Encore cette semaine, Obama a réagi au renforcement des lois contre les homosexuels en Russie en affirmant n'avoir « aucune patience » pour ce genre de répression.

L'affaire Magnitski

Sergueï Magnitski est un juriste qui avait accusé la police et des politiciens russes d'avoir volé des documents dans une affaire complexe d'évasion fiscale. L'homme a été emprisonné en 2008, puis est mort en prison. L'affaire a déclenché une escalade diplomatique entre la Russie et les États-Unis. Ceux-ci ont notamment fermé leur territoire à des fonctionnaires russes, et Moscou a répliqué en interdisant aux citoyens américains d'adopter des enfants russes.