Son avocat l'a admis d'emblée. James «Withey» Bulger était un preneur de paris, un usurier, un extorqueur et même un trafiquant de drogue, un «métier» qu'il a longtemps nié pratiquer. Grâce à ses activités illégales, le plus célèbre gangster de Boston a amassé des «millions et des millions de dollars», a reconnu Jay Carney, mercredi dernier, à l'ouverture d'un procès très attendu dans la capitale du Massachusetts.

Mais attention : Bulger «n'a jamais été un informateur du FBI», a précisé l'avocat à propos de l'ancien parrain de la pègre bostonienne, qui a inspiré le personnage de Jack Nicholson dans le film Les infiltrés de Martin Scorsese.

«James Bulger est de descendance irlandaise. Et la pire chose qu'une personne irlandaise peut envisager de faire est de devenir un informateur», a déclaré Carney.

La stratégie de l'avocat peut sembler étrange. Après tout, il a avoué la participation de son client de 83 ans à des crimes qui devraient lui assurer de finir ses jours en prison. Et il a nié son rôle d'indicateur, qui ne constitue en rien un crime.

Mais «Withey» Bulger semble se préoccuper de sa réputation, si une telle chose est possible de la part d'un homme qui a partagé avec Oussama ben Laden les premiers rangs de la liste des 10 personnes les plus recherchées du FBI. Accusé de 19 meurtres entre 1972 et 2000 (mais aussi de blanchiment d'argent et de trafic d'armes, entre autres), il nie tout particulièrement avoir étranglé deux femmes, dont Debra Davis, petite amie de son bras droit au sein du gang de Winter Hill.

Comprenez bien : son code d'honneur ne lui permettrait pas plus d'être tueur de femmes qu'indicateur de police.

Mais le gouvernement fédéral n'accuse pas seulement «Withey» Bulger d'avoir étranglé Debra Davis. Il lui reproche également de lui avoir arraché les dents avec des pinces pour qu'elle ne puisse être identifiée par la police.

«Il faisait le sale boulot lui-même», a déclaré le procureur Brian Kelly mercredi dernier, accusant Bulger d'avoir «dirigé un groupe de criminels qui se sont déchaînés dans la ville de Boston pendant 30 ans».

Barbe blanche, crâne dégarni, «Withey» Bulger est resté impassible pendant la déclaration du procureur. Son procès intervient deux ans après son arrestation à Santa Monica, en Californie, après 16 ans de cavale. Il devrait se prolonger jusqu'en septembre et voir défiler à la barre des dizaines de témoins, dont trois des anciens collaborateurs de Bulger, qui témoigneront contre lui.

Le procès ajoutera un chapitre important à la légende d'un gangster qui a déjà fait l'objet de 17 livres. Né en 1929 dans le quartier ouvrier de South Boston, «Whitey» Bulger a commencé sa carrière criminelle à 14 ans. Treize ans plus tard, il a écopé une peine de neuf ans de prison pour vol de banque. Il en a purgé une partie dans le célèbre pénitencier d'Alcatraz.

À son retour à Boston, Bulger a entamé ce que les procureurs fédéraux appellent aujourd'hui un «règne de terreur». Sa réputation criminelle n'a cependant pas empêché un de ses frères cadets de connaître une carrière éminemment respectable en politique et dans le monde universitaire. Avocat de profession, William Bulger a été président du Sénat du Massachusetts avant de devenir président de l'Université du Massachusetts.

Il a dû démissionner de ce poste en 2003 après avoir donné des réponses jugées trop évasives sur ses relations avec son frère lors d'une audition devant la Chambre des représentants.

Le procès de «Withey» Bulger sera également celui du FBI. À partir des années 70, le FBI a utilisé le gangster, à l'insu des services de police locaux, comme informateur dans le cadre de sa lutte contre la mafia italienne de Boston. Un des agents du FBI, John Connolly, a noué avec Bulger des liens particulièrement étroits, le tenant au courant pendant des années des mouvements de la police locale. En décembre 1994, Connolly a même averti Bulger de son arrestation imminente par la police du Massachusetts, lui permettant de partir en cavale. Connolly a été condamné à 40 ans de prison en 2006.

Bulger témoignera à son propre procès. Il fera notamment valoir qu'il n'était pas informateur, mais plutôt corrupteur de policiers.

«Est-ce qu'un informateur paierait des dizaines de milliers de dollars à un agent?», a demandé l'avocat de Bulger mercredi dernier, en faisant allusion aux sommes d'argent que son client aurait versées à John Connolly.

Il reviendra à un jury de huit hommes et quatre femmes de répondre à cette question.