En conférence de presse, Barack Obama se félicite du débat provoqué par les révélations médiatiques sur les programmes de surveillance de son gouvernement. Du même souffle, il condamne les fuites qui ont permis à des journalistes d'en informer le public.

Dans un discours, Barack Obama préconise un recadrage de la lutte antiterroriste pour la mettre plus en accord avec les valeurs américaines. Quelques phrases plus loin, il justifie la campagne d'assassinats ciblés de son administration qui a tué quatre citoyens américains, dont un adolescent de 16 ans, et des centaines de civils.

Dans le même discours, Barack Obama affirme que la guerre contre le terrorisme, «comme toutes les guerres, doit prendre fin». «C'est ce que l'Histoire nous conseille. C'est ce que notre démocratie exige», dit-il. Et pourtant, il multiplie depuis le début de sa présidence le nombre de guerres non déclarées, larguant des missiles au Pakistan, au Yémen et en Somalie, et déployant en secret des forces spéciales aux quatre coins du monde.

Le président Obama n'est pas seulement en guerre contre le sénateur Obama ou le candidat Obama, qui dénonçait le «faux choix» mis de l'avant par George W. Bush «entre notre sécurité et nos idéaux». Il est en guerre contre lui-même, en temps réel, comme un personnage sorti d'une pièce de Shakespeare.

Le 28 mai, lors de son important discours sur la sécurité nationale, Barack Obama a employé toute l'éloquence qu'on lui connaît pour tenter de redéfinir et de circonscrire la guerre contre le terrorisme lancée par son prédécesseur. Il a donné à plusieurs observateurs l'impression de vouloir solder les années Bush.

Bavures et excès

Mais il espérait peut-être liquider aussi certains aspects de l'ère Obama, dont les bavures et les excès sont présentés de manière prenante et dérangeante dans Dirty Wars (Sales guerres), un documentaire de Richard Rowley qui a pris l'affiche vendredi dans trois villes américaines (New York, Washington et Los Angeles).

«Cette histoire n'a pas de fin», dit le narrateur de Dirty Wars, Jeremy Scahill, journaliste de 38 ans spécialisé dans les questions de sécurité nationale que l'on suit, tel un détective de film de série noire, dans plusieurs pays, dont l'Afghanistan et le Yémen, où il recueille des témoignages bouleversants des proches de civils tués par les forces spéciales ou les tirs de drones américains.

«Je voulais mettre une veste-suicide et me faire exploser parmi les Américains. Mais mon frère et mon père m'en ont empêché», dit Mohammed Sabir, dont la femme, le frère, la soeur et la nièce, toutes deux enceintes, ont été tués par un commando américain lors d'un raid nocturne, le 12 février 2010, à Gardez, dans la province afghane de Paktia.

Mohammed Daoud, un chef de police formé par les Américains, a également été tué dans ce carnage que les responsables des forces de l'OTAN en Afghanistan ont d'abord décrit comme un «crime d'honneur» commis par des talibans.

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Scahill obtiendra plus tard la confirmation que l'opération a été menée par des soldats du Joint Special Operations Command (JSOC). Cette unité de combat secrète relève du président, qui participe lui-même à la compilation d'une liste toujours plus longue d'ennemis à tuer ou à capturer. Dans une seule semaine, le JSOC a effectué 1700 raids nocturnes en Afghanistan, selon les informations de Scahill, qui estime à 75 le nombre de pays où ses soldats d'élite sont actifs, y compris l'Algérie, l'Indonésie, la Jordanie et la Thaïlande.

Au moment de la bavure de Gardez, le JSOC était dirigé par l'amiral William McRaven, qui deviendra un héros national après avoir supervisé, de Jalalabad, en Afghanistan, l'opération contre Oussama ben Laden.

«Pas spécifiquement visé»

Jeremy Scahill s'est fait connaître il y a quelques années avec une série d'articles dans l'hebdomadaire The Nation et un livre sur Blackwater, cette société militaire privée qui a sévi dans plusieurs pays, dont l'Irak. Dans Dirty Wars, il s'intéresse en particulier aux assassinats par drones de l'imam radical américano-yéménite Anwar Al-Aulaqi et de son fils de 16 ans, Abderrahmane.

L'adolescent n'était pas «spécifiquement visé», a déclaré récemment le ministre de la Justice américain, Eric Holder. Mais Scahill ne croit pas à une bavure. Abderrahmane «n'a pas été tué pour ce qu'il était, mais pour ce qu'il pouvait devenir un jour», dit-il dans Dirty Wars.

Le journaliste revient aussi sur la frappe d'un missile de croisière américain Tomahawk sur le village bédouin d'al-Majalah, qui avait tué 45 personnes, dont des femmes et des enfants, le 17 décembre 2009, soit deux mois après l'attribution du Prix Nobel de la paix à Barack Obama.

Scahill est convaincu que les États-Unis se font davantage d'ennemis qu'ils ne tuent de vrais terroristes. Parions que l'idée est venue à l'esprit du président démocrate.