Il vit dans une cellule du couloir de la mort au Texas. Elle vit à Paris. Ils ne se sont jamais pris par la main. Ils ne sont jamais embrassés. Lorsqu'ils se voient au parloir de la prison, une vitre pare-balles les sépare. Mais cela ne les a pas empêchés de s'aimer et de se marier en 2008, après 12 ans de correspondance.

La militante abolitionniste Sandrine Ageorges-Skinner en parle comme d'une histoire d'amour « ordinaire » dans un contexte extraordinaire. Mais si un jour on lui avait dit qu'elle rencontrerait son double au fond d'une cellule du couloir de la mort au Texas, elle aurait été la première à rigoler.

Sandrine Ageorges-Skinner est directrice de production. Je l'ai rencontrée à Paris, à 8000 km de la prison texane où j'avais interviewé son mari. Une femme filiforme, nerveuse, à la chevelure rousse bouclée. Le visage oblong, le regard à la fois triste et déterminé, le verbe d'une battante.

Elle s'apprêtait ce jour-là à se rendre à une séance de signatures du Salon du livre pour son récit Entre nos lignes, publié chez Stock (2012). Un livre, fort bien écrit, où elle raconte cette histoire d'amour atypique qu'elle a tenue secrète pendant des années, pour protéger sa vie privée. « Je ne voulais pas que les gens fassent de confusion et se disent : elle est abolitionniste parce qu'elle aime un condamné à mort. Ou elle est avec un condamné à mort parce qu'elle est abolitionniste », dit-elle, en allumant une cigarette. « Ça n'a rien à voir ! Je ne l'ai pas épousé parce qu'il est condamné à mort. Je l'ai épousé parce que je l'aime. »

***

C'est elle qui a écrit la première à Hank Skinner en 1996 après qu'un ami juriste lui eut proposé de correspondre avec des condamnés à mort. Il lui a proposé trois noms. Parmi eux, celui de Hank Skinner, condamné à mort pour le triple meurtre de sa compagne et des deux fils adultes de celle-ci, en 1993. Un triple meurtre qu'il a toujours nié avoir commis et dont elle ne savait rien au début de leur correspondance.

Quand elle a commencé à lire sa première réponse, une longue lettre de 30 pages, Sandrine Ageorges-Skinner a eu l'impression de reprendre une conversation avec quelqu'un qu'elle connaissait depuis toujours. Comment êtes-vous tombés amoureux ? lui demandent toujours les gens. « On n'est pas tombé amoureux, dit-elle. On s'est retrouvé. On s'aimait. On avait vraiment la sensation qu'on s'aimait déjà depuis très longtemps. »

Sandrine Ageorges-Skinner n'a rien d'une groupie de prison. Dans son livre, elle avoue qu'elle ne supporte pas ces femmes « qui collectionnent les condamnés à mort comme d'autres les porte-clés » - un phénomène troublant qu'elle a pu observer de près dans le parloir du couloir de la mort. Une forme de « tourisme carcéral », dit-elle. « C'est dramatique ! La plupart ne sont pas mal intentionnées. C'est juste qu'elles ont des motivations inconscientes qui sont très malsaines. Soit un besoin de pouvoir, le pouvoir de contrôler un mec. C'est sûr que là où il est, le mec, il ne va pas s'envoler demain ! Et puis, il y en a quelques-unes qui sont complètement dingues... »

***

Sandrine Ageorges-Skinner s'est battue pour amasser les 17 000 $ nécessaires pour payer les tests d'ADN qui pourraient innocenter son mari. Après des années très dures marquées par trois dates d'exécution suspendues in extremis, elle se dit « relativement optimiste ». « Au Texas, on a appris à ne pas être optimiste. On reste réaliste, on va dire. Pour la première fois, on se dit que l'on a des éléments matériels qui nous permettent d'être un tout petit peu plus optimistes. » Sur l'arme du crime, des tests ADN ont déjà révélé un profil inconnu partiel qui n'est ni celui de Hank Skinner, ni celui des victimes. Des soupçons pèsent sur l'oncle de la compagne assassinée de Skinner. Il lui aurait fait des avances le soir de sa mort et l'avait déjà violée dans son enfance. Il est mort en 1997, sans jamais avoir été interrogé par les enquêteurs.

***

Hank Skinner était fortement intoxiqué la nuit du crime. Sandrine Ageorges-Skinner a-t-elle déjà pensé que l'homme qu'elle aime était peut-être coupable ? « Évidemment qu'il y a des périodes où je me suis posé la question. On se pose forcément des questions. Sinon, on est complètement naïf. »

Elle s'est déjà dit : « Peut-être que... ». « Je n'ai pas 15 ans ! Je sais que les gens sous l'emprise de l'alcool et de la drogue peuvent être amenés à faire des choses dont ils ne se souviennent absolument pas. C'est clair !»

Si au fil des enquêtes et des appels, la balance avait plutôt penché du côté de la culpabilité de son mari, cela aurait été très dur, dit-elle. « Mais honnêtement, je ne pense pas que ça aurait changé grand-chose à mes sentiments. »

Elle est persuadée que si Hank Skinner se savait lui-même coupable - si on avait découvert par exemple qu'il avait commis des meurtres dont il ne pouvait pas se souvenir -, il aurait lui-même voulu mourir. « Je pense qu'il aurait abandonné ses appels et aurait demandé à être exécuté. Il ne se supporterait pas en tant qu'être humain sachant qu'il a pu faire du mal à des gens qu'il aime. Parce que ce n'est vraiment pas quelqu'un de violent. »

***

Tout en continuant de se préparer au pire, Sandrine Ageorges-Skinner espère bien sûr le meilleur. Si son mari est libéré, elle rêve de vivre à ses côtés en France. « On va disparaître dans la nature loin de tout, loin de tout le monde », dit-elle, une lueur dans les yeux.

Quant à Hank Skinner, il rêve de trois choses beaucoup plus terre à terre, dit-elle. Ouvrir un réfrigérateur pour pouvoir choisir ce qu'il veut manger. Regarder tourner la machine à laver - il lave son linge à la main sur le plancher de sa cellule depuis 18 ans. Et écouter les nouvelles à la télé sur plusieurs chaînes - il n'y a pas de télé dans le couloir de la mort texan.

« Il y a 10 ans, il me disait : la réalité est en train de s'effacer. C'est comme une photo sépia qui se fane. Et maintenant il me dit clairement : la réalité, je ne sais pas ce que c'est. Je ne sais plus ce que c'est. »

Dans le couloir de la vie, une femme l'attend. Mort ou vivant.