La Cour suprême des États-Unis s'est penchée mardi sur le sort d'une fillette de 3 ans, légalement adoptée à sa naissance mais rendue deux ans plus tard à son père biologique, un Cherokee, en vertu d'une loi protégeant les Amérindiens.

L'avocate Lisa Blatt s'est livrée à une vibrante plaidoirie en faveur du couple adoptif, Matt et Melanie Capobianco, habitants de Caroline-du-Sud, parlant d'une situation «absurde» et «kafkaïenne».

Par décision de justice, la petite fille, appelée Veronica pour les besoins de la procédure, qui a vécu les deux-tiers de sa vie chez ses parents adoptifs, a été rendue fin 2011 à son père biologique, Dusten Brown, un Cherokee, qui avait renoncé à ses droits pendant la grossesse mais en avait réclamé la garde après l'adoption.

C'est «le coeur gros» que la Cour suprême de Caroline du Sud avait confirmé cette décision le 26 juillet 2012, estimant que la loi fédérale dite ICWA (pour Indian Child Welfare Act) primait sur celle de Caroline du Sud qui avait légalisé l'adoption.

C'était mardi la première fois en 14 ans et la seconde fois en tout et pour tout que la plus haute juridiction du pays se penchait sur cette loi votée en 1978 pour protéger les tribus indiennes après des années pendant lesquelles des enfants indiens étaient retirés à leurs familles.

Dans leur appel devant la Cour suprême, les parents adoptifs ont relevé que la loi ICWA ne s'appliquait pas dans 11 autres États américains où sont implantés des tribus indiennes, et que le jugement aurait donc été tout autre si l'adoption avait eu lieu ailleurs.

Leur avocate a averti les neuf juges que s'ils confirmaient la décision de la Cour de Caroline du sud, ils «interdiraient de fait l'adoption inter-raciale d'enfants indiens», «relègueraient» les candidats à l'adoption «au fond du bus» et cantonneraient les enfants d'origine amérindienne sur «un terrain avec une pancarte: "Attention, Indiens, ne pas déranger"».

«C'est le père!»

Mais dans «le meilleur intérêt de l'enfant», le père biologique a reçu le soutien d'un duo étonnant formé du juge ultra-conservateur Antonin Scalia et de sa collègue progressiste Sonia Sotomayor.

«Si le père convient, pourquoi (...) confier l'enfant à un étranger plutôt qu'à son père biologique?», s'est interrogée Sonia Sotomayor, sans enfant.

«C'est le père!», s'est exclamé Antonin Scalia, qui a lui-même engendré 9 enfants.

«Il n'a pas seulement une paternité biologique mais aussi une paternité légale», a renchéri Edwin Kneedler, l'avocat du gouvernement. Outre l'administration Obama, 18 États américains, la Nation cherokee et d'autres tribus indiennes se sont rangés derrière Dusten Brown.

Les époux Capobianco avaient financé une partie des frais médicaux de fin de grossesse, rencontré la mère avant la naissance de l'enfant en Oklahoma, assisté à l'accouchement le 15 septembre 2009, M. Capobianco ayant même coupé le cordon ombilical.

Le président de la Cour suprême John Roberts, lui-même père de deux enfants adoptés, leur a semblé favorable. Quand l'avocat du père biologique, Charles Rothfeld, a insisté sur l'enthousiasme de son client en apprenant la grossesse, M. Roberts a rétorqué: «Il était enthousiaste mais il n'a rien payé pendant la grosesse, et rien à la naissance pour aider l'enfant ou la mère, n'est-ce pas? (...) Tellement enthousiaste qu'il n'a pris aucune responsabilité».

La Cour suprême qui rendra sa décision fin juin se trouve devant un cas de conscience.

«Les relations domestiques sont celles qui posent le plus de problèmes aux juges», a commenté le juge Anthony Kennedy, dont le vote est souvent décisif.