Faute d'une entente de dernière heure entre les élus à Washington, le gouvernement américain a commencé hier une cure d'austérité forcée qui risque de peser sur la première économie mondiale. Au cours des sept prochains mois, le budget fédéral sera amputé de 85 milliards de dollars. Parmi les victimes inattendues de ce nouveau feuilleton budgétaire made in USA : le journaliste Bob Woodward et sa réputation.

Au fil de sa longue et fructueuse carrière, Bob Woodward a reçu son lot de critiques. Après avoir contribué à la démission de Richard Nixon en révélant le scandale du Watergate avec son collègue Carl Bernstein, le journaliste du Washington Post a notamment dû se défendre de complaisance envers ses sources les plus loquaces.

Mais sa réputation est restée largement intacte, de même que l'admiration que lui vouent plusieurs de ses collègues. Cela dit, le grand Bob Woodward a trébuché cette semaine dans une controverse qui lui a valu d'être présenté sous les traits d'un clown par le site internet Gawker. Même le très sérieux New Yorker a estimé qu'il s'était exposé au «ridicule».

Que s'est-il donc passé? L'histoire commence le week-end dernier par la publication d'une analyse de Bob Woodward dans le Washington Post. Le journaliste y accuse notamment Barack Obama d'avoir «changé les règles du jeu» dans les négociations sur une solution de rechange aux coupes budgétaires automatiques qui sont entrées en vigueur hier.

Toute la semaine, les républicains du Congrès brandiront l'analyse de Bob Woodward pour justifier leur refus de remplacer une partie des coupes par l'élimination de niches fiscales, une demande de Barack Obama.

Or, tous les observateurs le moindrement impartiaux s'accordent pour dire que Bob Woodward a commis une erreur (la demande du président ne représentait pas un changement). Mais au lieu de faire son mea-culpa, le journaliste légendaire est allé se plaindre sur CNN et au journal Politico d'avoir été enguirlandé au téléphone par un conseiller de la Maison-Blanche, qui lui a par la suite envoyé un courriel contenant ce qu'il a décrit comme une menace voilée.

Dans son entrevue à Politico, Bob Woodward a lu un extrait de ce courriel: «Vous regretterez d'avoir défendu cette position.» Il n'en fallait pas plus pour que les médias de droite se sentent justifiés d'accuser à leur tour la Maison-Blanche d'intimidation.

Un conseil d'ami

Mais la publication subséquente du courriel intégral du conseiller de la Maison-Blanche par Politico a fait mal paraître le célèbre journaliste et ses défenseurs. Gene Sperling, conseiller économique de la Maison-Blanche, commence son message à Bob Woodward en s'excusant d'avoir haussé le ton lors de leur conversation téléphonique. Et il ajoute: «Je sais que vous ne le croirez peut-être pas, mais en tant qu'ami, je pense que vous regretterez d'avoir défendu cette position.»

Y avait-il là une menace voilée? Plusieurs observateurs y ont plutôt vu le commentaire d'un responsable avisant un journaliste qu'il se couvrira de ridicule en défendant une thèse intenable.

Chose certaine, Bob Woodward n'a pas donné l'impression d'avoir été intimidé par Sperling dans sa réponse par courriel. «Vous n'avez jamais besoin de vous excuser auprès de moi», lui a-t-il écrit. «J'accueille aussi de bonne grâce votre conseil personnel», a-t-il ajouté en précisant qu'il tenterait de le rappeler «à 15h aujourd'hui».