Une portion des débats a été censurée lundi dans le tribunal ultrasécurisé de Guantanamo, lorsque a été mentionné le sujet sensible des prisons secrètes de la CIA où les cinq accusés du 11-Septembre ont été détenus et interrogés.

Après trois mois de suspension d'audience, les cinq hommes aux longues barbes, portant des tuniques blanches, des vestes de treillis, ou coiffés de turbans et de kapols afghans, sont réapparus dans la salle à la fine pointe de la technologie conçue spécialement à leur intention en 2008 sur cette enclave isolée à l'extrémité orientale de Cuba.

Ils encourent la peine de mort pour le meurtre de près de 3000 personnes le 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Malgré quelques assouplissements des règles -- les cahiers à spirale et les stylos de leur choix sont désormais autorisés aux médias --, dix caméras balayent toujours en permanence la vaste salle d'audience où le moindre mot est enregistré, surveillé. Derrière les accusés, une armada de gardes militaires bloque le passage.

Avec son détecteur de métaux sophistiqué, son système de circuit télévisé fermé, ses écrans plats et son mobilier moderne, la salle du tribunal est «la plus avancée technologiquement au monde», a assuré la veille John Inhoff, chargé de conduire la visite.

Mais les téléphones, ordinateurs portables, appareils photo et d'enregistrement restent proscrits derrière l'épaisse paroi vitrée où les journalistes triés sur le volet sont cantonnés, à distance des accusés.

Là, protégés par un triple vitrage encaissant le moindre son, les médias, les organisations des droits de l'homme et les familles des victimes suivent les débats avec un différé de 40 secondes, permettant à un censeur de bloquer toute déclaration considérée sensible.

Cette fois, c'est le mot «secret» prononcé par David Nevin, l'avocat du cerveau autoproclamé des attentats du 11-Septembre, Khaled Cheikh Mohammed, qui a déclenché la censure lundi après-midi.

Le juge furieux de cette censure

La «lumière rouge» a clignoté comme un gyrophare et la bande son a été brouillée pendant quelques minutes, privant les journalistes d'un échange précieux consacré aux prisons de la CIA dans lesquelles les cinq hommes ont été enfermés avant leur transfert à Guantanamo.

Pour la défense, ces sites «noirs», dont la localisation reste classifiée, doivent être préservés car ils sont des preuves potentielles que les cinq du 11-Septembre ont été torturés. Ils y ont subi des techniques d'interrogatoires renforcés, dont la simulation de noyade assimilée à de la torture que M. Mohammed a enduré 83 fois, comme l'a reconnu la CIA.

«En premier lieu, nous devons en savoir plus sur les bâtiments, et après sur ce qui s'est passé dans ces bâtiments», a déclaré en marge de l'audience, James Connell, l'avocat du Pakistanais Ali Abd al-Aziz Ali.

Seul le titre de la requête de la défense a été prononcé à l'audience, a précisé le juge James Pohl, surpris et furieux que cette portion des débats ait été cryptée. «Si une autre personne (que celle autorisée) contrôle sans raison et sans explication ce qui est dit dans ce tribunal, nous allons avoir une petite réunion» sur le sujet, s'est exclamé le juge, une fois le son revenu.

Un à un, les avocats des cinq accusés ont demandé: «Qui a la permission d'allumer la lumière rouge?».

«Nos avocats sont pieds et mains liés, et nous aussi nous sommes pieds et poings liés», a protesté aussi l'un des accusés, le Yéménite Wallid ben Attach. «Nous n'avons aucune motivation qui nous incite à venir au tribunal», a-t-il lancé, alors que le juge lisait les droits des accusés d'être absents de l'audience.

«Le gouvernement ne veut pas que nous disions ou fassions quoi que ce soit», a aussi déclaré celui que le gouvernement accuse d'avoir mené les repérages pour les attentats du 11-Septembre.

L'audience a été suspendue pour la journée. Le sujet des prisons secrètes, mais aussi du fonctionnement du «kill switch» (l'interrupteur qui censure), devait être abordé à huis clos.