Appelons-la Judy, prénom fictif choisi à sa demande. En début d'après-midi, jeudi dernier, cette jeune femme toute menue est devenue le deuxième membre de sa famille à acquérir un AR-15 -le type de fusil semi-automatique utilisé dans plusieurs tueries américaines, dont celles d'Aurora et de Newtown. Son père s'est procuré le sien pour Noël.

«Il trouve important que j'aie la même arme avant qu'elle ne soit interdite», a dit Judy, 25 ans, lorsqu'elle est entrée en possession de son fusil dans un magasin d'armes à feu de la Pennsylvanie. «Je suis pleinement d'accord avec lui. Je veux pouvoir me protéger si jamais, Dieu m'en garde, je devais m'en servir. Personne ne sait comment seront les quatre prochaines années avec Obama», a-t-elle ajouté, avant de demander à son interlocuteur s'il connaissait Glenn Beck, animateur de radio aux mille et une théories de conspiration.

Tout autour de Judy, une activité fébrile régnait dans le magasin de Tom Clayton, sis dans une des principales artères de Horsham, petite ville située à 45 km au nord de Philadelphie. Le propriétaire du commerce et ses cinq commis se démenaient comme de beaux diables pour répondre aux nombreux clients qui se pressaient devant un long comptoir.

«Ce n'est rien», a commenté Tom Clayton, assis derrière la caisse enregistreuse. «Le samedi et le dimanche, on ne peut même pas marcher dans le magasin tellement il y a du monde.»

Mais l'afflux de clients dans le magasin de Tom Clayton avait quelque chose de particulier, jeudi dernier. Au même moment, à Washington, la sénatrice de la Californie Dianne Feinstein présentait un projet de loi destiné à interdire la vente, la fabrication et l'importation de 157 fusils et pistolets semi-automatiques, dont l'AR-15, version civile du célèbre fusil d'assaut m16.

«Ça va être difficile», a reconnu la sénatrice démocrate en faisant allusion à l'opposition de plusieurs élus et citoyens à son projet de loi, qui prévoit en outre l'interdiction des chargeurs de plus de 10 balles.

En fait, vu du magasin de Tom Clayton, l'effort de Dianne Feinstein semblait contre-productif. Si, de l'avis général, le projet de loi de la sénatrice a peu de chances d'être approuvé par le Congrès, il contribue en revanche à une véritable ruée sur les armes à feu dans plusieurs États américains, dont la Pennsylvanie.

Deuxième amendement

«L'élection de Barack Obama a créé une forte poussée de la demande, mais rien comme ce à quoi nous assistons depuis la fusillade de Newtown», a dit Tom Clayton. «J'ai vendu 135 armes à feu les 2 et 3 janvier, comparativement à 5 ou 10 aux mêmes dates il y a deux ans.»

Les clients de Tom Clayton s'offusqueraient sans doute d'être qualifiés de paranoïaques. Mais la plupart d'entre eux avouent qu'ils ont peur de perdre le droit de posséder l'arme de leur choix, qui est garanti selon eux par le deuxième amendement de la Constitution américaine.

«Je suis inquiète, c'est tout», a dit Denise McBarron après avoir acheté sa première arme à feu, un révolver de calibre 44 Magnum. «J'ai peur qu'ils nous disent dans trois ans que nous ne pouvons plus acheter d'armes de poing.»

Cette femme dans la cinquantaine s'inquiète aussi de la criminalité à Horsham, où un résidant a été tué d'une balle dans la tête par un cambrioleur, il y a deux semaines.

PHOTO FRANÇOIS PESANT, COLLABORATION SPÉCIALE

Exercice de tir à l'arme semi-automatique au magasin de Tom Clayton.

Contre Obama

«Nous nous préparons au pire», a ajouté son mari, Dave, qui a également acheté un révolver. «Je ne voudrais pas que quelque chose arrive et ne pas avoir d'arme parce que mes droits m'ont été retirés.»

Non loin du couple, Bill Craven, 55 ans, tenait dans ses mains un DRD Paratus-18, un des fusils semi-automatiques visés par le projet de loi de la sénatrice Feinstein. Cet amateur de chasse, qui porte une queue de cheval, refuse de vivre dans la peur. Mais, comme plusieurs clients de Tom Clayton, il prête à Barack Obama les pires intentions en matière d'armes à feu.

«Je crois que notre président veut provoquer une confrontation dans ce pays et il ne sera pas satisfait tant qu'il ne l'aura pas eue, a-t-il dit. Il veut une confrontation qui lui permettra de rester au pouvoir. C'est mon opinion personnelle.»

Derrière le comptoir de son magasin, Tom Clayton hochait la tête de droite à gauche en parlant du projet de loi de la sénatrice Feinstein.

«Cela ne donnera rien, a-t-il prédit. Parce qu'ils ne parviendront jamais à prendre les armes d'assaut qui sont déjà là. Et s'ils essaient, plusieurs personnes vont mourir.»

PHOTO FRANÇOIS PESANT, COLLABORATION SPÉCIALE

Judy, une jeune femme de 25 ans achète un AR-15, pour se protéger en cas de besoin.