Au premier coup d'oeil, Chuck Hagel et Michael Moore n'ont rien en commun. L'un est un ancien sénateur républicain du Nebraska qui a voté pour la guerre en Irak, l'autre est un documentariste engagé qui dénonce le militarisme de son pays. Mais les deux hommes se retrouveront bientôt dans le même camp à l'occasion d'une des batailles politiques les plus étonnantes des dernières années aux États-Unis.

Vétéran médaillé de la guerre du Vietnam, Chuck Hagel, 66 ans, pourrait être nommé dès aujourd'hui secrétaire à la Défense en remplacement de Leon Panetta, qui quittera ce poste au début du deuxième mandat de Barack Obama. Certains républicains ont déjà annoncé leur opposition à ce choix qualifié hier de «controversé» par le sénateur de la Caroline-du-Sud, Lindsey Graham. Celui-ci a notamment évoqué les positions de l'ancien sénateur sur Israël.

Au fil des ans, Chuck Hagel a également froissé plusieurs collègues républicains en devenant un critique de la guerre en Irak et un partisan de Barack Obama lors de la campagne présidentielle de 2008. En 2007, il a aussi «dit la vérité sur notre invasion de l'Irak», a écrit vendredi soir Michael Moore sur son site internet, citant la déclaration suivante de l'ex-sénateur: «Les gens disent que nous nous battons pour le pétrole. Bien sûr que nous le faisons. Ils parlent de l'intérêt national de l'Amérique. De quoi pensez-vous qu'ils parlent? Nous ne sommes pas là pour des figues.»

Et Michael Moore de commenter: «Ouf! N'auriez-vous pas plus d'énergie le matin en lisant le journal et en y voyant le nom de Hagel?»

Le billet enthousiaste du réalisateur de Fahrenheit 9/11 n'est pas passé inaperçu. «Cela pourrait être la goutte qui fait déborder le vase», a écrit samedi le commentateur néoconservateur William Kristol, en faisant allusion aux propos «vulgaires et dégoûtants» de Chuck Hagel sur la guerre en Irak.

Kristol et le Weekly Standard, l'hebdomadaire dont il est l'éditeur, sont à l'avant-garde de la fronde contre l'ex-sénateur, qui est actuellement professeur à l'Université de Georgetown et conseiller de la présidence pour les affaires de renseignement. Quand la rumeur de sa nomination à la tête du Pentagone a commencé à circuler, à la mi-décembre, le Weekly Standard a publié sur son site internet un billet qualifiant Chuck Hagel d'«antisémite».

Pour étayer son accusation, l'hebdomadaire a publié un extrait d'une interview remontant à 2008 où l'ancien sénateur affirme que «la réalité politique est que le lobby juif intimide beaucoup de gens ici» (dans le reste de l'entretien, il parle du «lobby pro-Israël», l'expression consacrée).

Kristol a vite pris le relais en accusant Hagel d'être «un anti-Israélien déclaré et un partisan d'une politique d'apaisement avec l'Iran» (il s'est notamment opposé au Sénat à des sanctions économiques contre la république islamique).

«À la gauche d'Obama»

La page éditoriale du Washington Post, bastion néoconservateur en matière de politique étrangère, a enfoncé le clou le 18 décembre en annonçant son opposition à la nomination de Chuck Hagel. «Ses positions sur les dépenses militaires et sur l'Iran se situent à la gauche de celles poursuivies par Obama pendant son premier mandat», a écrit le quotidien.

Chuck Hagel n'est pas critiqué seulement pour ses positions en matière de sécurité nationale et de politique étrangère; il a dû s'excuser avant Noël pour des propos jugés homophobes lors d'un débat en 1998 sur la nomination de James Hormel à titre d'ambassadeur du Luxembourg. Il s'était élevé contre cette candidature parce que, selon lui, M. Hormel était «ouvertement et agressivement homosexuel».

Mais le blogueur Glenn Greenwald, critique de la politique étrangère américaine et défenseur des droits des homosexuels, s'est porté ce week-end à la défense de Chuck Hagel sur le site du quotidien britannique The Guardian. Selon lui, l'ancien sénateur du Nebraska est l'une des très rares personnalités américaines d'envergure à s'opposer «au consensus de Washington sur la guerre, le militarisme, Israël, l'Iran et le Moyen-Orient».

Le choix de Chuck Hagel sera aussi interprété comme un camouflet au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui n'a pas caché sa préférence pour Mitt Romney lors de la dernière campagne présidentielle. Cela dit, l'ancien sénateur du Nebraska a toujours nié être anti-Israël, n'en déplaise à ceux qui lui reprochent notamment d'avoir préconisé l'ouverture de négociations directes avec le Hamas.

En 2008, Chuck Hagel a fait cette déclaration qui devrait revenir sur le tapis au cours des prochaines semaines: «Je suis un sénateur des États-Unis. Je soutiens Israël. Mais mon intérêt premier est l'allégeance que j'ai prêtée à la Constitution des États-Unis. Pas au président. Pas à un parti. Pas à Israël.»

Ce à quoi Michael Moore et plusieurs progressistes américains répondront sans doute: «Amen.»