La crise politique aux États-Unis est plus grave qu'il n'y paraît. Et la faute en revient aux républicains. Tel est le constat d'un politologue du très conservateur groupe de réflexion American Enterprise Institute (AEI).

Le livre de Norman Ornstein, It's Even Worse Than it Looks, qu'il cosigne avec un politologue du groupe de réflexion de centre gauche Brookings, a fait les manchettes des grands journaux et du réseau public NPR, mais a été ignoré par Fox et les pages éditoriales du Wall Street Journal. C'est un sort inhabituel pour les travaux de l'AEI, dont les experts dénoncent généralement les hausses d'impôts pour les riches, les syndicats et les assauts contre les «valeurs familiales». Les communiqués de l'AEI étaient généralement favorables à Mitt Romney lors de la récente campagne présidentielle.

«Nous avons évolué vers un système parlementaire alors que notre Constitution prévoit un dispositif de freins et de contrepoids», explique M. Ornstein, en entrevue depuis Bruxelles, où il assistait à la mi-décembre à une réunion du conseil d'administration d'une grande entreprise européenne. «C'est une recette qui favorise la paralysie. Pour qu'un système parlementaire fonctionne, il faut que le gouvernement majoritaire puisse agir. Ce n'est pas le cas pour nous: si le Sénat, le Congrès et le président sont aux mains de partis différents, et que tous les membres de chaque parti votent ensemble, rien ne se passe. Pour être efficace, notre système ne doit pas avoir une discipline de parti trop rigide.»

Pour la première fois de l'histoire américaine, rapporte M. Ornstein en citant une analyse du National Journal, un hebdomadaire politique de Washington, le démocrate le plus conservateur est plus «libéral» que le républicain le plus libéral, tant au Congrès qu'au Sénat. «Au début de 2010, une commission bipartisane a commencé à travailler sur la manière de réduire la dette. Ses recommandations devaient être adoptées par le Congrès et le Sénat, selon un projet de loi tout aussi bipartisane. Mais à la dernière minute, les six cosignataires républicains du projet de loi ont voté contre son adoption. C'est aussi du jamais vu.»

Le livre énumère d'autres événements qui viennent étayer cette thèse. Selon l'organisme de gauche Politifact, qui analyse la véracité des courriels en chaîne à teneur politique qui circulent sur le web, en 2007, 75 des 79 courriels en chaîne qui affirmaient des faussetés émanaient du camp républicain. Norman Ornstein cite aussi un haut stratège républicain qui explique que si les républicains empêchent le Sénat de faire son travail, cela diminuera la confiance des Américains envers leur gouvernement, ce qui est un objectif des extrémistes ayant pris le contrôle du parti.

Quelques fautes des démocrates trouvent tout de même place au fil des pages. Quand il était sénateur, Barack Obama a voté contre la hausse du plafond d'emprunt demandé par George Bush. Une fois président, il a eu droit au même traitement quand les républicains ont refusé leur appui à une telle hausse jusqu'à la dernière minute, forçant la décote de la dette américaine par l'agence Standard&Poor. L'acharnement des démocrates contre le juge Robert Bork, nommé à la Cour suprême par Ronald Reagan, est aussi cité - les attaques personnelles durant la comparution du juge Bork au Sénat l'ont forcé à refuser le poste.

Les origines de la crise

Comment en est-on arrivé là? «Tout a commencé quand Newt Gingrich, jeune élu au Congrès dans les années 80, a profité de l'apparition du canal C-Span pour populariser les attaques vicieuses, dit M. Ornstein. C-Span filmait le Congrès 24heures sur 24, même lors des discours inutiles devant un Congrès vide. Les caméras ne montraient que l'orateur. Si ce dernier était injuste et odieux envers les démocrates, les auditeurs avaient l'impression que ces derniers ne répondaient pas, voire même qu'ils acceptaient les reproches. Avant que les démocrates se rendent compte du problème et demandent à C-Span de montrer l'auditoire et non seulement l'orateur, la polarisation avait commencé.»

M. Ornstein voit dans Roger Ailes, le grand patron du réseau Fox, qui a réussi à ériger le mépris de la vérité en modèle d'affaires, un autre grand coupable. «On a transformé la politique en match de boxe où tous les coups sont permis. On entend souvent dire que le modèle américain est résilient et que la situation se rétablira d'elle-même. Je ne le crois pas. Il est temps d'agir.»

Rencontre aujourd'hui

Les politiciens américains devront d'ailleurs faire face à la crise aujourd'hui même. Le président Barack Obama retrouvera cet après-midi les chefs de file du Congrès, sur fond de pessimisme quant à la perspective d'un accord entre démocrates et républicains, pour tenter d'éviter une cure d'austérité radicale aux États-Unis dès le 1er janvier en raison du «précipice fiscal».

M. Obama, revenu hier de son archipel natal d'Hawaii, où il a écourté ses vacances, rencontrera, à la Maison Blanche, le président républicain de la Chambre des représentants John Boehner et le chef de la minorité républicaine au Sénat Mitch McConnell.

Le chef de la majorité au Sénat, Harry Reid, et la dirigeante de la minorité à la Chambre, Nancy Pelosi, sont également attendus.

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Trois remèdes à la parysie politique américaine

> Élargir l'électorat: éliminer les frais liés à l'émission des pièces d'identité de plus en plus souvent exigées par les États pour voter; obliger les gens à voter, comme en Australie.

> Éliminer les biais à l'encontre des candidats modérés: confier les modifications aux limites des circonscriptions à des commissions indépendantes, comme au Canada, et non à la législature des États; tenir compte des deuxième et troisième choix des électeurs, pour éviter qu'un candidat extrémiste profite de la division du vote modéré.

> Réformer le financement des campagnes: faciliter les petits dons pour en augmenter le nombre; obliger les «comités d'action politique» (PAC) à dévoiler d'où vient leur financement.