Qui a besoin de Hollywood quand Washington produit, à intervalles réguliers, un thriller sur fond de crise fiscale?

La question se veut facétieuse, car les Américains préféreront, d'ici le 31 décembre, aller voir le dernier James Bond plutôt que de suivre les négociations entre Barack Obama et les républicains du Congrès pour éviter le «mur budgétaire», connu sous le nom de fiscal cliff en anglais.

Le mur budgétaire? En effet, le titre et le scénario du nouveau film catastrophe de Washington demandent des explications. En voici quelques-unes.

Le mur budgétaire, qu'est-ce que c'est au juste?

L'expression recouvre deux événements distincts: 1) l'expiration, le 31 décembre 2012, d'avantages fiscaux auxquels les Américains ont droit depuis une loi adoptée fin 2010. Cette loi reconduisait notamment les baisses d'impôts accordées par George W. Bush et la réduction de 2 % des prélèvements de sécurité sociale sur les salaires; 2) l'entrée en vigueur automatique, le 1erjanvier 2013, de coupes budgétaires annoncées en août 2011 dans le cadre d'un accord entre la Maison-Blanche et les républicains du Congrès sur le relèvement du plafond de la dette.

Pourquoi cherche-t-on à éviter ce mur budgétaire ?

Faute d'un accord d'ici le 31 décembre, les dépenses publiques seront réduites de 109 milliards de dollars et les impôts augmenteront de 394 milliards d'ici septembre 2013, une cure d'austérité de 503 milliards, selon le Bureau du budget du Congrès, qui pourrait faire replonger l'économie américaine dans la récession. À noter que la moitié des coupes proviendrait du budget du Pentagone, ce qui déplaît à la plupart des républicains. Les démocrates voudraient pour leur part éviter ou contenir au maximum les coupes dans les programmes sociaux.

Quel est le principal obstacle à un accord?

Fort de sa victoire lors de l'élection présidentielle, Barack Obama se dit prêt à reconduire les allégements fiscaux de l'ère Bush, sauf pour les individus gagnant 200 000 $ et plus et pour les couples gagnant 250 000 $ et plus, qui représentent 2 % des contribuables américains. Ceux-ci verraient leur taux d'imposition passer de 35 % à 39,6 % et ils contribueraient à hauteur de 800 milliards de plus aux recettes de l'État sur 10 ans. Les républicains s'opposent pour le moment à toute augmentation des taux d'imposition, se disant tout au plus prêts à une hausse des recettes de l'État par l'entremise de l'élimination d'échappatoires et d'exemptions fiscales. Le président refuse d'emprunter cette voie.

Quelle partie a l'appui du public?

Selon un sondage de l'Université de Quinnipiac publié jeudi, 53 % des Américains font confiance à Barack Obama pour éviter le mur budgétaire et 36 % aux républicains. Pas moins de 65 % des Américains approuvent l'élimination des allégements fiscaux de l'ère Bush pour les 2 % d'Américains les plus riches. Un sondage Washington Post/Pew Research Center indique par ailleurs que 53 % des Américains rejetteront la responsabilité d'un échec des négociations sur les républicains du Congrès, 27 % sur le président et 12 % sur les deux parties de façon égale.

Un accord est-il possible?

Les républicains du Congrès pourraient céder sur la principale demande de Barack Obama - l'élimination des allégements fiscaux pour les contribuables les plus riches -, tout en promettant de reprendre, dès le début de 2013, leur combat pour obtenir des concessions budgétaires. Comme ils l'ont fait à l'été 2011, ils pourraient menacer de ne pas relever le plafond de la dette si leurs demandes ne sont pas satisfaites. Ce plafond, qui s'élève aujourd'hui à 16,4 milliards de dollars, sera atteint à la fin du mois. Faute d'un relèvement de cette limite, les États-Unis pourraient se retrouver au début de 2013 en situation de défaut de paiement. Un autre thriller budgétaire à l'horizon...

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La proposition de Barack Obama

Objectif

>Nouvelle réduction du déficit de 2000 milliards sur 10 ans

Hausse des impôts de 1600 milliards

>Fin des baisses d'impôts de George W. Bush pour les contribuables gagnant plus de 200 000 $ par année (seuil de 250 000 $ pour les couples)

>Hausse de la taxe sur les héritages (45 % à partir de 3,5 millions au lieu de 35 % à partir de 5 millions)

Plan de relance de 50 milliards à court terme

Réduction des dépenses de 400 milliards dans les programmes sociaux, principalement Medicare, qui sera négociée l'an prochain

Abolition du pouvoir du Congrès d'autoriser le plafond de la dette

Selon l'administration Obama, sa proposition réduira au total le déficit de 4400 milliards sur 10 ans, en comptant ses engagements pris à l'été 2011 de réduire les dépenses de l'État de 2400 milliards (dont 800 milliards pour les guerres en Irak et en Afghanistan).

La proposition des républicains

Objectif

>Nouvelle réduction du déficit de 2200 milliards sur 10 ans

Hausse des impôts de 800 milliards

>Modification des échelons d'imposition, qui seraient relevés moins vite que prévu

>Réforme de certaines déductions fiscales, notamment la déduction des intérêts d'une hypothèque

Réduction des dépenses de 1200 milliards

>900 milliards dans les programmes sociaux comme Medicare et Medicaid

>300 milliards dans les dépenses de fonctionnement de l'État

Réduction des dépenses de 200 milliards en changeant la méthode de calcul de l'inflation pour les programmes sociaux comme la sécurité sociale et Medicare

Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot