Il est environ 17h, le mardi 6 novembre 2012, jour du scrutin présidentiel. Dans deux heures, les bureaux de vote fermeront en Virginie, l'État où se trouvent les principales agences de renseignement américaines.

Dans le bureau de James Clapper, directeur national du renseignement, le téléphone sonne. Au bout du fil, un responsable du ministère de la Justice surprend le général de l'armée de l'air à la retraite avec une nouvelle sensationnelle: le FBI a découvert une liaison extraconjugale entre le directeur de la CIA, David Petraeus, et sa biographe, Paula Broadwell. Âgée de 40 ans, cette diplômée de l'Académie militaire de West Point faisait l'objet d'une enquête policière à la suite d'une plainte portée il y a plusieurs mois par une femme à qui elle avait adressé des courriels menaçants.

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Le soir même, alors que les États-Unis et le reste de la planète attendent encore le résultat de l'élection présidentielle, James Clapper appelle David Petraeus, l'exhortant à démissionner. Vingt-quatre heures plus tard, il met au parfum un responsable de la Maison-Blanche, qui refilera l'information à Barack Obama jeudi, soit deux jours après sa réélection face à Mitt Romney.

Le même jour, le président reçoit David Petraeus à la Maison-Blanche. Celui que plusieurs Américains considèrent comme un héros de la guerre en Irak lui remet sa lettre de démission, jugeant avoir «fait preuve d'un manque de jugement en ayant une relation extraconjugale». Le lendemain, Barack Obama accepte la démission du chef de la CIA, tout en saluant un «officier exceptionnel». C'est aussi la journée où les responsables des commissions du renseignement du Congrès sont mis au courant de l'affaire.

Le récit qui précède représente la version officielle des circonstances entourant la démission de David Petraeus, qui met peut-être un point final à la carrière prestigieuse d'un des soldats les plus connus et décorés aux États-Unis. Comme la plupart des scénarios hollywoodiens, ce récit contient un certain nombre de coïncidences extraordinaires, voire invraisemblables.

Se peut-il vraiment que le directeur national du renseignement n'ait pas été informé avant le soir de l'élection présidentielle que le FBI menait depuis plusieurs mois une enquête lui ayant permis de découvrir la liaison entre le patron de la CIA et sa biographe?

Peut-on croire que le président n'a rien su de cette histoire avant jeudi dernier?

Eric Cantor, lui, était au courant depuis plus de deux semaines. Selon le New York Times, le numéro deux des républicains à la Chambre des représentants a été contacté par un employé du FBI accusant David Petraeus d'avoir noué une relation extraconjugale susceptible de compromettre des informations confidentielles.

Le chef de cabinet du représentant de Virginie a par la suite rapporté cette accusation à un responsable du FBI.

Bien entendu, la démission de David Petraeus a déjà fait naître plusieurs théories de conspiration, surtout au sein de la droite américaine. L'une d'elles veut que l'administration Obama ait trouvé une façon commode d'empêcher le directeur de la CIA de témoigner cette semaine devant la commission du renseignement du Sénat. Celle-ci entame des auditions sur l'attaque du consulat de Benghazi ayant mené à la mort de quatre Américains dont l'ambassadeur Christopher Stevens le 11 septembre dernier.

Plusieurs conservateurs voient dans l'affaire de Benghazi le Watergate de Barack Obama. Ils accusent notamment le président d'avoir refusé d'envoyer au secours des assiégés un commando de la CIA qui se trouvait non loin du bâtiment attaqué. La plupart des grands médias américains ont cependant refusé de prêter foi à cette accusation répétée presque chaque jour sur la chaîne Fox News. Le Washington Post, par exemple, a écrit récemment qu'un commando de sept membres de la CIA était arrivé sur les lieux 50 minutes après le début de l'attaque. Le commando n'a évidemment pas été capable de sauver l'ambassadeur Stevens.

N'en déplaise aux critiques conservateurs de Barack Obama, rien n'indique pour le moment que la démission de David Petraeus ait un rapport avec l'affaire de Benghazi. Mais un scandale dévoilé trois jours après un scrutin présidentiel peut certes en cacher un autre.