Depuis des décennies, Oakland, en Californie, est à l'avant-garde du mouvement pour libéraliser l'usage du cannabis: on y trouve d'ailleurs le plus grand dispensaire de marijuana médicale aux États-Unis. Ici, les militants voyaient l'arrivée au pouvoir du président Obama comme un signe positif. Puis les raids ont commencé.

On ne perçoit pas d'effluves de marijuana sur les trottoirs d'Oakland, mais l'herbe fait sentir sa présence partout: dans les logos verts des dispensaires, à travers les vitrines des vendeurs de pipes à haschisch de Telegraph Avenue, sur la murale grande comme un pâté de maisons de l'Oaksterdam University, «l'université du cannabis», en plein centre-ville.

Rendez-vous dans l'une des cliniques d'Oakland et plaignez-vous de maux de dos ou d'insomnie, vous repartirez avec l'autorisation, délivrée par l'État, d'acheter et de faire pousser de la marijuana, un remède légalisé depuis 1996 en Californie.

«Depuis des années, Oakland est à l'avant-garde du mouvement pour libéraliser l'usage du cannabis, explique Jeff Jones, directeur général du Patient ID Center, qui milite pour la marijuana thérapeutique depuis des années. On peut dire qu'ici, on se battait pour ça avant que ce soit cool de se battre pour ça.»

Les résultats de cette bataille sont visibles dans un quartier industriel près du port d'Oakland, où se trouve le Harborside Health Center, le plus grand dispensaire de marijuana médicale des États-Unis, voire du monde. Dans un hangar anonyme protégé par ces caméras de surveillance et des gardiens, le centre emploie 125 personnes et sert des milliers de patients. En 2011, il a réalité un chiffre d'affaires de 30 millions, dont 3,5 millions ont été payés en taxes à la Ville et à l'État de la Californie.

À quelques semaines de l'élection présidentielle, les militants d'Oakland devraient être en train de travailler à la réélection du président Obama, ancien fumeur de cannabis qui s'était engagé à faire progresser la cause de la marijuana thérapeutique en laissant les États gérer eux-mêmes la question.

Or, ces jours-ci, les militants n'ont pas le coeur à la fête. Ils se battent pour leur survie.

Le raid

Le matin du 2 avril dernier, des dizaines d'agents armés et masqués de la Drug Enforcement Agency (DEA) et du département de la Justice ont débarqué au centre-ville d'Oakland.

Ils ont vite investi l'Oaksterdam University, ouverte en 2007 par le militant Richard Lee, qui enseigne comment cultiver la marijuana à des fins médicales et en faire le commerce.

Les autorités n'ont pas expliqué pourquoi elles menaient un raid dans l'école et le dispensaire autorisé qui s'y rattachait. L'école a dû remercier 45 employés, et 63 autres personnes qui travaillaient dans des commerces liés à l'école ont perdu leur emploi.

Cinq mois plus tard, Dale Sky Jones, directrice d'Oaksterdam University, ne sait toujours pas pourquoi le gouvernement a fait fermer l'établissement.

«Le DEA dit que l'attestation d'exécution est sous scellé, dit-elle en entrevue. Or, personne n'a été arrêté, et personne n'a été accusé de quoi que ce soit. Mais ils ont saisi notre matériel, nos ordinateurs, tout.»

Le geste est une gifle, dit-elle, car l'école avait d'excellents rapports avec la Ville et la police municipale. «Si les feds attaquaient des commerces qui sont mal gérés ou qui enfreignent la loi, nous serions pour. Mais ils s'attaquent aux gens sérieux et responsables qui ouvrent la voie, des gens rigoureux qui établissent les meilleures normes dans le milieu.»

L'Oaksterdam University donne actuellement ses cours dans d'autres édifices, et d'anciens employés agissent à titre bénévole.

Puis, le 12 juillet, les autorités fédérales ont placardé un avis dans la porte du Harborside Health Center: le gouvernement ordonne au commerce de fermer ses portes sous prétexte qu'il est devenu un «supermarché» du cannabis thérapeutique et qu'il contrevient à l'esprit de la loi californienne.

La Ville d'Oakland, qui compte sur les revenus du commerce pour boucler son budget, a vivement dénoncé l'affaire. «Nous n'avons pas les moyens de perdre cet argent, de gaspiller les ressources de police de la Ville et de perdre les emplois que le centre a créés», a déclaré la conseillère municipale Rebecca Kaplan dans un point de presse à l'hôtel de ville.

Mike, employé du Harborside Health Center qui joue le rôle d'«ombudsman» et qui a préféré taire son nom de famille, explique que l'annonce du gouvernement a fait peur tant aux employés qu'aux patients du centre. «Le département de la Justice fait fermer les petits dispensaires de la région, puis il nous accuse de connaître une croissance trop rapide. Cette approche ne tient pas la route», dit-il.

Bush devant Obama

Jeff Jones, directeur du Patient ID Center, estime que les positions économiques et sociales du président Obama sont louables. Il se dit toutefois déçu par l'ingérence de son administration dans le dossier de la marijuana thérapeutique en Californie, particulièrement depuis quelques mois.

«Nous avons eu plus de descentes en trois ans sous Obama qu'en huit ans sous George W. Bush, dit-il. Les républicains n'ont rien à gagner à nous attaquer. Les démocrates, en revanche, veulent montrer qu'ils ne sont pas faibles. Ils font des descentes pour montrer au reste du pays qu'ils ne s'en laissent pas imposer par les hippies de Californie. C'est lamentable.»

Les États, rappelle-t-il, ont le pouvoir de légiférer sur la construction des barrages hydroélectriques et la gestion des déchets nucléaires. «Mais ils ne sont pas assez responsables aux yeux de Washington pour s'occuper du pot? Ça montre à quel point le gouvernement fédéral erre lorsqu'il use de cet argument.»

Ces jours-ci, M. Jones donne à ses clients un prospectus où l'on voit le visage souriant du président et une phrase qu'il a prononcée le 23 mars 2008, durant sa campagne contre John McCain, au sujet de la marijuana médicale: «Je ne vais pas utiliser les ressources du département de la Justice pour essayer de contourner les lois des États dans ce dossier.»

Depuis, Barack Obama a modifié légèrement son discours. Dans une entrevue accordée au magazine Rolling Stone, en avril, il a affirmé: «Je me suis engagé à ne pas faire de l'arrestation des gens qui utilisent la marijuana thérapeutique une priorité. Mais je ne peux demander au département de la Justice de passer outre aux lois fédérales.»

M. Jones trouve ironique le fait qu'Obama, qui a lui-même admis avoir fumé du cannabis et consommé de la cocaïne, montre si peu d'empressement à faire évoluer le dossier de la marijuana thérapeutique.

«Obama a eu de la chance de n'avoir jamais été arrêté quand il fumait du pot, dit-il. S'il l'avait été, il n'aurait jamais pu devenir président.»

Barack Obama, «l'Intercepteur»

Barack Obama a plusieurs fois admis qu'il avait fumé de la marijuana durant sa jeunesse.

Or, il semble que le président américain ait eu une relation particulièrement intense avec l'herbe interdite.

Dans une nouvelle biographie intitulée Barack Obama: The Story, publiée en juin, l'auteur David Maraniss, lauréat du prix Pulitzer, explique que le jeune Obama, au temps où il fréquentait l'école secondaire Punahou, à Hawaii, et l'Occidental College, à Los Angeles, dans les années 70, était «connu pour être à l'origine de nouvelles modes dans la consommation de marijuana».

Une de ses idées consistait à fumer dans une voiture en prenant soin de fermer les fenêtres. «Quand le joint était fini, Obama et ses amis renversaient la tête et aspiraient les dernières traces de fumée au plafond, écrit l'auteur. Gaspiller de la bonne fumée de marijuana n'était pas toléré, selon un camarade de classe d'Obama.»

À cette époque, précise l'auteur, Obama était surnommé «l'Intercepteur» parce qu'il avait l'habitude d'intercepter les joints qui circulaient. «Il jouait du coude et, au lieu d'attendre son tour, criait "intercepté! " et inhalait une autre fois.»

David Maraniss prend soin d'ajouter que le fait qu'Obama et ses amis consommaient de la marijuana n'a pas fait d'eux de mauvais élèves pour autant. «En fait, plusieurs des amis de la bande étaient des élèves appliqués et des athlètes qui ont eu des carrières productives comme avocats, écrivains et hommes d'affaires», écrit-il.



Plus de 500 économistes contre la prohibition


Les finances américaines seraient en meilleur état si le pays décidait de légaliser et de taxer la marijuana.

C'est ce qu'affirme une lettre ouverte signée par plus de 500 économistes américains, dont l'un des plus influents du XXe siècle, feu Milton Friedman, ainsi que deux lauréats du prix Nobel d'économie.

«Cesser la prohibition de la marijuana ferait épargner 7,7 milliards par année au gouvernement américain. Si la marijuana était taxée comme un bien de consommation, on en tirerait des revenus de 2,4 milliards par année. Si elle était taxée comme l'alcool et le tabac, les revenus grimperaient à 6,2 milliards annuellement.»

Les signataires disent vouloir «lancer un débat ouvert et honnête» sur la prohibition de la marijuana, une politique qui «a donné des bénéfices minimaux mais qui a pu causer des torts substantiels».

Au moins, le débat «forcerait les gens qui défendent la politique actuelle à montrer que les bénéfices sont suffisants pour justifier les coûts payés par les contribuables, de même que le manque à gagner en taxes.»

La pétition a été lancée par Jeffrey A. Miron, professeur d'économie à l'Université Harvard et auteur du rapport intitulé L'impact budgétaire de la prohibition de la marijuana.

Sur le Net: Prohibitioncosts.org