Novembre 1999. Elizabeth Grotons et son fils Elian Gonzalez fuient Cuba dans une embarcation de fortune et arrivent sains et saufs en Floride. Un an plus tard, Al Gore est élu de justesse président des États-Unis, remportant l'État-clé de la Floride par une marge très mince. À l'été 2001, il autorise l'utilisation d'une nouvelle arme, le drone Predator, pour tuer Oussama ben Laden. Avec succès. Cela n'empêche pas, le 11 septembre 2001, quatre avions pilotés par des agents d'Al-Qaïda de frapper les tours jumelles à New York ainsi que le Pentagone et le Congrès à Washington.

Jeff Greenfield a une longue carrière de journaliste politique derrière la cravate. Il a fait tous les grands réseaux et CNN, après avoir été attaché politique de Robert Kennedy en 1968. Depuis l'an dernier, il s'est servi de ses connaissances des rouages politiques pour lancer coup sur coup quatre «uchronies», des histoires «alternatives» de ce qui aurait pu se passer si les aléas de l'histoire avaient été légèrement différents.

Son dernier opus, 43* When Gore Beat Bush - a Political Fable, qui vient d'être lancé, explore comment une administration Gore aurait vécu le 11 septembre et ses conséquences. Il postule notamment que Joseph Lieberman, le colistier d'Al Gore, aurait démissionné de son poste de vice-président devant le refus du président Gore d'envahir l'Irak - jouant ainsi le rôle de George W. Bush.

«Je suis depuis toujours fasciné par l'importance des petits événements», explique M. Greenfield, joint à New York. «Quand j'étudiais la politique, j'ai appris que Franklin Roosevelt a failli être assassiné trois semaines avant son inauguration en 1933. Ensuite, j'ai suivi par hasard un cours de droit et ça a fait que j'ai été recommandé à Robert Kennedy. Ça m'a lancé dans une carrière de correspondant politique, qui m'a encore davantage renforcé dans ma conviction que les mouvements de masse sont importants, mais que la direction qu'ils prennent dépend de petits détails, une rencontre, un assassin qui est cinq minutes en retard, ou Jackie O qui décide d'accompagner son mari à l'église malgré un malaise, ce qui dissuade un anarchiste de tuer John F. Kennedy en 1961, comme dans ma première uchronie.»

La pierre d'assise de la présidence Gore est la survie de la mère d'Elian Gonzalez. En réalité, elle est morte noyée; son fils a été recueilli par ses oncles et la Cour suprême a ordonné son rapatriement à Cuba, où son père le réclamait. «Plusieurs commentateurs pensent que cette décision de l'administration Clinton, qui aurait pu accorder l'asile politique à Elian, a coûté la Floride à Gore», dit M. Greenfield.

Quant à l'assassinat de ben Laden par Predator interposé, M. Greenfield le base sur un côté faucon peu connu du candidat démocrate. « Quand il était vice-président, il était très agressif envers les Serbes. Il était déçu que Bush père n'ait pas continué sa conquête jusqu'à Bagdad. Évidemment, si les attaques du 11 septembre étaient survenues malgré la mort de ben Laden, tous les gens se seraient dit: Gore a eu huit ans pour le tuer, pourquoi ne l'a-t-il pas fait avant ? Bush pouvait s'en laver les mains en jetant le blâme sur l'administration Clinton. »

Et le Congrès démoli le 11 septembre? «Gore avait bâti sa carrière sur l'amélioration de l'efficacité du gouvernement, dit M. Greenfield. Je pense qu'il aurait réagi plus énergiquement que Bush aux énormes retards dans les aéroports en 2000-2001 et aurait ouvert à ce moment les corridors aériens militaires de la côte Est, une décision que Bush a prise en 2008. Cela aurait limité le retard de l'avion qui s'est écrasé en Pennsylvanie et qui devait frapper le Congrès. Les passagers n'auraient pas eu le temps de réaliser ce qui se passait et de frapper les terroristes.

L'uchronie n'est-elle pas un genre un peu trivial pour un vétéran journaliste politique? « Pas du tout, des grands s'y sont frottés, répond M. Greenfield. Philip Roth, Newt Gringrich, Stephen King. C'est vraiment un genre très honorable qui permet de faire avancer la réflexion historique et politique. »

PHOTO ARCHIVES AFP

Dans le scénario imaginé par le journaliste Jeff Greenfield, avec l'élection d'Al Gore à la Maison-Blanche en 2000, les Américains n'auraient pas attaqué l'Irak de Saddam Hussein (notre photo).