Les Noirs américains et le mariage homosexuel n'ont pas toujours fait bon ménage. Au fil des ans, le phénomène a d'ailleurs soulevé un certain nombre de questions gênantes, dont celle-ci: comment une minorité longtemps opprimée peut-elle vouloir priver une autre de l'égalité devant la loi?

La religion, l'histoire ou la culture ont été invoquées pour expliquer cette opposition qui s'est notamment exprimée lors de référendums tenus en Californie en 2008 et en Caroline-du-Nord le 8 mai. Dans ces deux États, environ deux tiers des électeurs noirs ont voté pour des amendements constitutionnels interdisant le mariage gai.

Compte tenu des résultats de ces scrutins et de plusieurs sondages, la plupart des analystes sont arrivés à la même conclusion après l'annonce par Barack Obama de son soutien au mariage gai: le premier président de couleur risquait de s'aliéner une partie de l'électorat noir, qui a joué un rôle déterminant dans son élection en 2008. Conscient de ce risque, il a tenu une conférence téléphonique avec d'influents pasteurs noirs dès après l'interview télévisée au cours de laquelle il est, en quelque sorte, sorti du placard.

Barack Obama n'a peut-être pas réussi à changer l'opinion de ces religieux sur le mariage homosexuel. Mais son annonce historique semble avoir eu un impact majeur sur la position des Noirs américains en général sur cette question, selon des sondages publiés la semaine dernière.

Un revirement spectaculaire

Le cas du Maryland est particulièrement intéressant. Cet État semblait être en voie de devenir le premier aux États-Unis à approuver le mariage gai par voie référendaire, et ce, en dépit de l'opposition de 56% des électeurs noirs, selon un sondage PPP publié en mars. Or, jeudi dernier, la même maison de sondage a publié une nouvelle enquête indiquant un revirement spectaculaire de la part de l'électorat afro-américain sur cette question: si, comme prévu, un référendum sur le mariage gai est tenu en novembre, 55% des Noirs diront oui.

Un changement semblable a été relevé dans l'ensemble des États-Unis, où 59% des électeurs noirs approuvent désormais le mariage entre personnes du même sexe, selon un sondage ABC News/Washington Post publié mercredi dernier. Le soutien au mariage gai du même électorat ne dépassait pourtant pas 41% selon la moyenne des sondages réalisés pour ces deux médias au cours de l'année précédente.

Même en Caroline-du-Nord, les Noirs semblent avoir changé d'opinion. Selon un sondage PPP publié la semaine dernière, 55% d'entre eux «croient que les couples du même sexe devraient pouvoir se marier ou former des unions civiles», un bond de 11 points depuis un sondage publié le 6 mai par la même maison.

En apportant son soutien au mariage gai, Barack Obama aura sans doute encouragé bon nombre de Noirs américains à réexaminer leur opinion sur le sujet. Il aura également incité plusieurs groupes et personnalités importants à lui emboiter le pas, dont la NAACP, la plus ancienne et importante organisation de défense des droits civiques des Noirs.

«Le soutien de la NAACP à l'égalité du mariage est profondément ancré dans le 14e amendement de la Constitution des États-Unis et dans l'égale protection de la loi», a déclaré samedi dernier le président de l'organisation, Benjamin Jealous, en faisant référence à l'amendement constitutionnel sur lequel le mouvement des droits civiques s'est appuyé pour démanteler les lois ségrégationnistes.

Jealous établissait ainsi un lien entre la cause des homosexuels et celle des Noirs que plusieurs d'entre eux avaient rejeté par le passé.

Une interdiction passéiste

Le rappeur Jay-Z a également fait sa part pour s'attaquer à une certaine homophobie véhiculée par des personnalités issues de la culture hip-hop. «J'ai toujours vu l'interdiction du mariage gai comme quelque chose de passéiste», a-t-il déclaré sur CNN.

Et l'ancien secrétaire d'État américain Colin Powell, un Afro-Américain appartenant à une autre génération, a témoigné de sa propre évolution mercredi dernier en disant qu'il n'avait «aucun problème avec» le mariage homosexuel.

Le général à la retraite a même été plus loin que le président Obama en affirmant que la légalisation du mariage gai ne devrait pas nécessairement être du seul ressort des États.

«Je ne vois aucune raison pour ne pas dire que les couples du même sexe devraient pouvoir se marier sous la loi de leur État ou de leur pays», a-t-il dit.