Il est perfide. Il déteste Israël. Il adopte des formulations chères aux antisémites.

Peter Beinart, juif orthodoxe et sioniste américain, a inspiré ces jugements à des critiques de son nouveau livre, The Crisis of Zionism (La crise du sionisme), une analyse du déclin du sionisme laïc aux États-Unis. L'ouvrage a valu à cet ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire The New Republic plusieurs autres injures dont la virulence ne semble cependant pas lui avoir fait perdre son sens de l'humour.

«Après la sortie de mon livre, un ami m'a demandé: «As-tu été la cible de mots durs, d'attaques ad hominem ou de dénonciations personnelles?» Je lui ai répondu: «Tu veux dire en dehors de ma propre famille?»», a ironisé le journaliste de 40 ans lors d'une rencontre la semaine dernière à Brooklyn.

Mais qu'a bien pu écrire ce partisan repenti de la guerre en Irak pour susciter une controverse à laquelle même l'ambassadeur d'Israël aux États-Unis a cru bon se mêler? Dans The Crisis of Zionism, Peter Beinart approfondit une thèse qu'il avait déjà présentée en 2010 dans la New York Review of Books. Une thèse pas vraiment révolutionnaire.

Selon Beinart, l'occupation de la Cisjordanie par Israël est en voie de miner irrémédiablement le caractère démocratique de l'État hébreu et d'aliéner une génération entière de jeunes juifs américains, un phénomène exacerbé par l'appui des principales organisations juives américaines - dont l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) - à tout ce que peut faire n'importe quel gouvernement israélien.

La réaction hostile de plusieurs critiques juifs au livre de Beinart tient en partie à la renommée de l'auteur, qui lui donne accès aux tribunes les plus prestigieuses. C'est d'ailleurs dans les pages du New York Times qu'il a défendu une des idées les plus contestées de son livre.

Pour accélérer la fin de l'occupation israélienne de la Cisjordanie, Beinart encourage les juifs américains à boycotter tout produit venant des colonies juives, un boycottage qui serait accompagné d'investissements équivalents sur le territoire propre d'Israël.

Aux yeux de Beinart, cet appel se veut une version «sioniste» de la campagne BDS (boycottage, désinvestissement et sanctions) lancée en 2005 par la société civile palestinienne et visant l'État d'Israël.

Bien qu'opposé à l'occupation de la Cisjordanie par Israël, l'influent journaliste américain Jeffrey Goldberg s'est insurgé contre la proposition de Beinart. «Des boycottages anti-juifs? Je sais où ça finit», a-t-il écrit sur Twitter en faisant allusion à l'Holocauste, une tragédie dont Beinart dénonce l'instrumentalisation par les principales organisations juives américaines.

«L'appel (au boycottage) de Peter Beinart le place très loin du courant majeur israélien, de la gauche modérée et de la vaste majorité des Israéliens qui aspirent à la paix», a pour sa part écrit l'ambassadeur israélien à Washington, Michael Oren, dans sa page Facebook, lui reprochant d'ignorer la responsabilité des Palestiniens dans la situation actuelle au Proche-Orient.

Mais Beinart se défend d'avoir basculé dans la marginalité avec sa proposition de boycottage. Il dit avoir été inspiré dans sa démarche par trois des plus grands écrivains israéliens, David Grossman, Amos Oz et A.B. Yehoshua, qui refusent, à l'instar de plusieurs autres artistes israéliens, de se produire dans la nouvelle salle de spectacle d'Ariel, l'une des plus importantes colonies juives de Cisjordanie.

«D'après mon expérience, les Israéliens qui luttent pour la démocratie sont souvent confus, perplexes et même déprimés par le fait que la plus grande communauté de la diaspora juive du monde, une communauté qu'ils admirent, semble complètement désintéressée par la lutte pour la démocratie dans l'État d'Israël», dit Peter Beinart.

«Et j'ai pensé que ma proposition serait une façon d'agir en solidarité avec eux», ajoute-t-il.

Mais la démocratie semble elle-même connaître des ratées aux États-Unis, où un président américain, en l'occurrence Barack Obama, peut à la fois récolter 78% du vote juif et se faire humilier dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche par un premier ministre israélien, en l'occurrence Benyamin Nétanyahou.

En revenant sur la rebuffade publique adressée par Nétanyahou à Obama sur la question des frontières de 1967, Peter Beinart rappelle que le premier ministre israélien a été ovationné à 29 reprises par les élus du Congrès américain lors d'un discours prononcé le lendemain de sa visite à la Maison-Blanche. L'auteur y voit une manifestation de l'influence démesurée de l'AIPAC et de ses alliés.

«L'AIPAC et ses alliés ont passé des décennies à se faire des amis sur la colline parlementaire et à faire craindre aux politiciens les conséquences de ne pas être les amis de l'AIPAC», écrit Beinart dans son livre, en souhaitant que son cri d'alarme contribue à éviter la transformation d'Israël en État d'apartheid.