Le ministre de la Justice américain Eric Holder a suscité mardi des réactions fortes et diverses -surprise, incrédulité, indignation- en accusant le gouvernement iranien d'être impliqué dans un complot pour assassiner l'ambassadeur d'Arabie Saoudite à Washington.

Et alors que Washington et Téhéran ont continué hier à s'accuser mutuellement de perfidie, les médias américains ont fourni de nouveaux détails sur l'enquête qui a mené à l'inculpation de deux Iraniens, dont l'un est naturalisé américain.

Mansour Arbabsiar et Gholam Shakuri ont été accusés d'avoir fomenté l'assassinat de l'ambassadeur Adel al Djoubeïr dans un restaurant de Washington, avec l'aide d'un cartel de narcotrafiquants mexicains.

Q Le complot est-il crédible?

R Plusieurs spécialistes de l'Iran accueillent avec scepticisme la version du ministre Holder, selon laquelle le complot aurait été téléguidé par les Gardiens de la révolution, pilier du régime iranien, et leur branche opérationnelle, la force Al-Qods. Ils font notamment valoir que cette force, hautement professionnelle, n'est pas connue pour avoir déjà opéré aux États-Unis. Elle n'a pas non plus l'habitude de confier des missions de ce genre à des groupes et des individus avec lesquels elle n'entretient pas des liens de longue date. Selon le Washington Post, les enquêteurs américains étaient également sceptiques après avoir appris qu'Arabsiar, vendeur de voitures d'occasion de Corpus Christi, au Texas, avait pris contact avec un informateur de la Drug Enforcement Agency qui se faisait passer pour un narcotrafiquant mexicain. Ils auraient cependant commencé à prendre le complot au sérieux deux mois plus tard, en constatant qu'une somme de 100 000$ avait été transférée de comptes bancaires iraniens vers l'agent clandestin de la DEA au Mexique. Les autorités américaines sont aujourd'hui convaincues que le chef de la force Al-Qods, le général Quassem Souleimani, et le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, étaient au courant des grandes lignes du complot.

Q Quelle est la réaction iranienne?

R Dans un discours retransmis par la télévision d'État, l'ayatollah Khamenei a ajouté hier aux démentis initiaux de Téhéran en attribuant les allégations de Washington à une volonté de diaboliser l'Iran et de détourner l'attention des Américains de leurs propres problèmes économiques, qui sont illustrés à son avis par le mouvement «Occupons Wall Street». «Le mouvement anti-Wall Street est très important. Ils (les autorités américaines et les médias) ont tenté de minimiser son ampleur, mais la corruption du système capitaliste est désormais visible pour la population. Un jour, ce mouvement jettera à terre tout le système capitaliste occidental», a déclaré l'ayatollah.



Q Que feront les États-Unis?

R L'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Susan Rice, a commencé à rencontrer ses collègues du Conseil de sécurité pour leur fournir des détails sur le complot présumé. Au moment d'écrire ces lignes, les États-Unis n'avaient pas encore signifié leur intention de porter l'affaire devant le Conseil. Dans une entrevue télévisée, le vice-président américain Joe Biden a cependant affirmé hier matin que l'Iran serait tenu responsable. Des sanctions internationales pourraient être adoptées, a-t-il dit, tout en précisant qu'«aucune option n'est écartée».

Q Quel serait le mobile du crime?

R L'Iran a déjà tué des dissidents à l'étranger, mais l'assassinat d'un ambassadeur étranger en sol américain constituerait un précédent extraordinaire. Et s'il est vrai que l'Iran et l'Arabie Saoudite sont des rivaux régionaux, plusieurs experts ne s'expliquent pas l'intérêt que représenterait pour les Iraniens le meurtre de l'ambassadeur saoudien aux États-Unis. Ils ne comprennent pas davantage pourquoi l'Iran prendrait le risque de provoquer une confrontation militaire avec les États-Unis. Certains spécialistes n'écartent pas cependant la possibilité qu'un tel complot soit le reflet d'un changement de politique étrangère en Iran, où la crainte d'une réplique militaire américaine serait chose du passé.

Photo: AFP

Mansour Arbabsiar (ci-dessus) et Gholam Shakuri ont été accusés d'avoir fomenté l'assassinat de l'ambassadeur Adel al Djoubeïr dans un restaurant de Washington, avec l'aide d'un cartel de narcotrafiquants mexicains.