C'est un secret de Polichinelle au gouvernement américain: la signature du président que d'aucuns encadrent fièrement au mur pourrait bien être l'oeuvre d'une machine. Mais quand l'automate va apparemment jusqu'à promulguer une loi, l'opposition crie à l'inconstitutionnalité.

Le mois dernier, comme Barack Obama se trouvait en France quand le Congrès a adopté in extremis la prorogation de certaines disposition du Patriot Act, la loi antiterroriste, il a utilisé la machine à signer. Ses détracteurs dénoncent une légèreté inacceptable.

Depuis des décennies, tous les présidents américains se font aider par un «autopen», dont les bras mécaniques enserrant un stylo sont réglés pour reproduire leur signature.

«J'ai toujours entendu dire que l'«autopen» était la deuxième chose la mieux gardée de la Maison Blanche après le président», se souvient Jack Shock, qui s'en servait au poste de directeur chargé des lettres et messages présidentiels pour Bill Clinton.

La signature automatique de Ronald Reagan, par exemple, se déclinait en 22 variantes, comme «Ron» ou «Dutch», qui lui donnaient un air d'authenticité, selon Stephen Koschal, un graphologue qui a publié il y a deux ans un guide des signatures automatiques des présidents américains.

Cet expert affirme même avoir repéré lors d'une visite dans le bureau du vice-président Dan Quayle une photographie dédicacée par George Bush père... manifestement signée par l'«autopen». «La vérité c'est que quand il reçoit 10 000 lettres par jour, (le président) ne peut tout faire lui-même», souligne-t-il.

Mais avec Barack Obama, il semble que ce soit la première fois que la machine à signer sert à promulguer une loi. Le 17 juin, 21 députés républicains ont adressé une lettre au président pour exiger qu'il appose de nouveau, en personne cette fois, sa signature au bas du Patriot Act. Pour eux, l'usage de l'autopen «paraît contraire à la Constitution».

Une analyse que contestent les conseillers de M. Obama, en s'appuyant sur un document de 29 pages rédigé sous George W. Bush. Cependant, à en croire Ari Fleischer, ancien porte-parole du président Bush fils, la Maison Blanche avait seulement envisagé à l'époque de tester la machine à signer sur un texte de loi mineur, et «finalement Bush a continué à signer lui-même» les documents importants.

Les responsables gouvernementaux en poste rechignent traditionnellement à parler de la machine à signer et l'administration Obama ne fait pas exception, mais le président est bien en peine d'expliquer comment il aurait pu parapher le Patriot Act en si peu de temps, depuis l'Europe.

La Maison Blanche refuse de dire combien d'«autopens» elle détient, quels modèles et où elle les garde. À Rockville, dans le Maryland, Bob Olding, patron de Damilic, la principale manufacture de machines à signer, invoque le secret professionnel.

Ses machines, qui sont aujourd'hui bourrées d'électronique et tiennent sur une table, à la Maison Blanche mais aussi dans de nombreuses entreprises et organisations, coûtent entre 2000 et 10 000 $ US. Elles signent à peu près au même rythme que la main de l'homme et peuvent expédier jusqu'à quelque 500 signatures par heure.

Dwight Eisenhower a été le premier président (1953-1961) à recourir à une machine à signer, affirme Stephen Koschal, qui rappelle que bien des chefs de l'État ont laissé des secrétaires parapher à leur place lettres et autres documents.

Il y a plus de 200 ans déjà, Thomas Jefferson (1801-1809) se servait d'un polygraphe qui se fixait à sa plume et reproduisait ce qu'il écrivait. «Je ne pourrais plus vivre sans polygraphe», s'enthousiasmait-il.

Il n'est pas sûr en revanche que Donald Rumsfeld, l'ancien ministre de la Défense de George W. Bush, garde un souvenir aussi ému de la machine à signer: en 2004, il a promis qu'on ne l'y reprendrait plus, après avoir été épinglé pour avoir utilisé l'«autopen» dans des lettres de condoléances à des familles de soldats morts au combat.

Quant à l'ancien président de la société de courtage en énergie Enron, Kenneth Lay, il a bien essayé de faire valoir que sa signature sur des documents frauduleux émanait d'une machine, il a quand même été condamné pour la faillite du groupe.

Pour Stephan Koshal, peu importe que la signature automatique soit reconnue conforme à la Constitution ou pas, «je ne paierais pas un centime pour ça, lâche-t-il. Ce n'est pas une vraie signature.»