Dès le début de l'affaire DSK, le Daily News a montré ses couleurs, rebaptisant l'ex-patron du FMI «Le Perv» (le pervers), une épithète que son principal concurrent a reprise à son compte jeudi dernier. «Chez Perv», a titré le New York Post à la une en montrant une photo de la nouvelle résidence new-yorkaise de celui que ce quotidien plus ou moins francophobe avait déjà surnommé «Pepe Le Pew». Oui, oui, Pépé le putois, une référence à la mouffette d'un dessin animé célèbre qui parle avec un accent français et harcèle les femelles.

Bienvenue à «Tabloid City», pour emprunter le titre du nouveau roman de l'ex-chroniqueur-vedette Pete Hamill, dont l'un des protagonistes résume ainsi l'histoire idéale pour les tabloïds new-yorkais: «un meurtre à une bonne adresse». Or, à en juger par la réaction débridée du Daily News et du Post, l'agression sexuelle présumée d'une femme de ménage par un Français riche et puissant est peut-être encore plus irrésistible.

Et si la plupart des New-Yorkais ne se formalisent guère des emportements ou dérapages des tabloïds locaux, il n'en va pas de même des Français, dont plusieurs ont dénoncé un «lynchage médiatique», à commencer par Bernard-Henri Lévy.

«Je maintiens que les tabloïds qui, dès la première minute et avant que l'on sache rien de sa version des faits ni même des faits tout court, ont traité Strauss-Kahn de "pervers" (une du Daily News), se sont indignés de sa remise en liberté (New York Post: «le crapaud s'en est tiré») et se sont fait l'écho de rumeurs invérifiées, toujours à charge et qui changeaient toutes les deux heures (départ précipité... billet acheté à la sauvette... air stressé...), se sont érigés en juges à la place des juges - ce qui est une infraction aux plus élémentaires règles de droit», a fulminé BHL.

La campagne négative du Post et du Daily News contre Dominique Strauss-Kahn semble certes porter atteinte au principe de la présomption d'innocence. Mais la plupart des experts de la justice à la new-yorkaise doutent que les épithètes péjoratives et les reportages offensants des tabloïds puissent empêcher un jury d'être juste à l'endroit de DSK.

Des jurés impartiaux

«À l'heure actuelle, une bonne partie de la population tient sans doute pour acquise sa culpabilité en raison des informations salaces et des images du prévenu menotté diffusées par les médias», a déclaré l'avocat criminaliste Gerald Shargel dans le cadre d'un débat organisé par le New York Times sur l'affaire DSK. «Mais après avoir plaidé des causes pendant plus de 40 ans devant des jurys, je sais ceci: les jurés se montrent à la hauteur et arrivent la plupart du temps à la bonne décision. Même si le principe de la présomption d'innocence peut sembler compromis, les jurés examinent les faits présentés dans un effort sérieux pour rendre un verdict juste et équitable.»

Le jour même où Gerald Shargel a exprimé cette opinion, un jury new-yorkais lui a donné raison en acquittant deux policiers accusés d'avoir violé une jeune femme ivre après l'avoir raccompagnée dans son appartement.

Les tabloïds de New York n'avaient pourtant pas épargné les accusés, les qualifiant de «Rape Cops» (les flics du viol) et accordant le plus grand crédit à la version présentée par le procureur de Manhattan. Ils avaient notamment fait grand cas du fait que les policiers étaient entrés et sortis à trois reprises de l'appartement de la jeune femme le soir du viol présumé.

Et ils avaient traité avec le plus grand scepticisme la version des policiers, dont l'un a admis s'être blotti contre la jeune femme dans son lit alors qu'elle ne portait qu'une brassière. Il a en outre raconté avoir embrassé la plaignante sur une épaule et lui avoir chanté Livin' on a Prayer, succès du groupe Bon Jovi, pour la consoler. Mais il a nié avoir eu un rapport sexuel avec elle.

Après le verdict d'acquittement, un juré a expliqué aux médias que les procureurs n'avaient pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable qu'il y avait eu viol. La plaignante avait oublié de grands pans de la journée en raison de son ivresse extrême. Et les procureurs ne disposaient d'aucune preuve ADN, la victime présumée ayant pris une douche avant de porter plainte et de se rendre à l'hôpital.

«Justice violée», a titré le New York Post à la une le lendemain, exprimant une indignation qui n'a peut-être pas échappé à l'attention de DSK dans son «château de Franklin Street» (dixit le Daily News).