L'auteur de L'audace d'espérer serait peut-être aujourd'hui très déçu du président des États-Unis.

«Près de cinq ans après le 11 septembre et 15 ans après l'effondrement de l'Union soviétique, les États-Unis n'ont toujours pas de politique de sécurité nationale cohérente», écrivait Barack Obama dans son livre publié en 2006. «Au lieu de principes directeurs, nous avons une série de décisions ad hoc avec des résultats douteux. Pourquoi envahir l'Irak et pas la Corée du Nord ou la Birmanie? Pourquoi intervenir en Bosnie et pas au Darfour?»

Lundi soir, le président avait la chance de définir les «principes directeurs» de l'interventionnisme américain à l'occasion de son discours sur l'opération en Libye. Dans les heures et les jours qui ont suivi, journalistes, spécialistes et politiciens ont cherché dans ses propos une «doctrine» transposable à d'autres conflits, comme celles auxquelles les présidents Harry Truman, Richard Nixon et Ronald Reagan, entre autres, avaient donné leur nom.

Ils ont tous fait chou blanc, ou presque.

«Chaque fois qu'une administration lance une opération militaire ou quasi militaire, les chaînes d'information se perdent en conjectures pour tenter de déterminer si une telle action annonce une nouvelle doctrine. Dans le cas du discours d'Obama sur la Libye, il semble pas mal évident que la réponse à cette question est non», a conclu Daniel Drezner, professeur de politique internationale à l'Université Tufts.

Pragmatisme

Malgré les écrits du sénateur Obama, le refus du président Obama de s'enfermer dans une «doctrine» ne devrait pas constituer une trop grande surprise. En limitant son discours de lundi soir aux raisons d'intervenir en Libye, le chef de la Maison-Blanche a confirmé le pragmatisme qui semble dicter la plupart de ses politiques.

«Les États-Unis ne peuvent utiliser leur armée chaque fois que survient une répression», a-t-il déclaré, évitant soigneusement de mentionner les noms des autres pays du Moyen-Orient, dont le Yémen et Bahreïn, où des manifestants ont été abattus récemment. «Mais cela ne saurait constituer un argument pour ne jamais agir au nom de ce qui est juste. Dans ce pays en particulier, la Libye, à ce moment précis, nous avions la capacité de mettre fin à cette violence.»

Et d'ajouter: «En tant que président, je refuse d'attendre les images de massacres et de charniers avant de passer à l'acte.»

Plusieurs commentateurs ont interprété cette dernière phrase comme une critique voilée de Bill Clinton, dont l'administration est restée paralysée face au génocide rwandais. Le 44e président s'est par ailleurs démarqué de son prédécesseur immédiat, George W. Bush, en rejetant l'unilatéralisme et en excluant l'envoi de troupes sur le sol libyen pour précipiter un changement de régime dans un autre pays arabe.

Multilatéralisme

Son multilatéralisme a été dénoncé par plusieurs conservateurs, dont Sarah Palin, candidate potentielle à la présidence.

«Les intérêts des États-Unis ne peuvent être réduits à une théorie d'intervention postaméricaine qui nous force à attendre le feu vert de la Ligue arabe et des Nations unies avant d'agir», a déclaré l'ancienne gouverneure d'Alaska sur Fox News.

À l'autre bout du spectre politique, le représentant démocrate d'Ohio Dennis Kucinich a cru entendre George W. Bush lorsque Barack Obama a évoqué les menaces de Mouammar Kadhafi pour justifier l'intervention des États-Unis en Libye.

«Souvenez-vous, c'est ce que George Bush a fait. Il a dit que l'Irak avait des armes de destruction massive», a-t-il dit sur MSNBC.

Mais Barack Obama ne s'est pas seulement attiré des critiques à la suite de son discours sur la Libye. Stephen Grand, spécialiste du Moyen-Orient à la Brookings Institution, sympathise avec le président, estimant qu'il lui faudra sans doute plus d'un discours pour définir une doctrine face à une région où les événements se bousculent.

«C'est un travail en cours. Obama tente certainement de définir une approche qui le placera du bon côté de l'histoire», a-t-il dit.