La tradition veut que les présidents américains annoncent l'entrée en guerre de leur pays dans une allocution solennelle prononcée de la Maison-Blanche et diffusée en direct sur les grandes chaînes de télévision. Barack Obama y a dévié de façon spectaculaire samedi.

«Aujourd'hui, j'ai autorisé les forces armées des États-Unis à entreprendre une action militaire limitée en Libye», a-t-il déclaré devant un petit groupe de journalistes entre deux activités à Brasilia, où il entamait une tournée de cinq jours en Amérique latine.

Et le président démocrate n'a pas songé hier à rentrer d'urgence à Washington, choisissant de poursuivre avec sa femme et ses deux filles une visite au Brésil décrite comme étant d'abord «un voyage d'affaires».

Aussi limitée soit-elle, l'action militaire en Libye engage les États-Unis dans une troisième guerre contre un pays musulman, un fait qui a contribué à la manière discrète dont Barack Obama en a fait l'annonce, ainsi qu'à la décision de donner officiellement les premiers rôles à la France et à la Grande-Bretagne.

Mais cette entrée en guerre par la porte de service suscite la controverse aux États-Unis, où bon nombre de politiciens et de commentateurs reprochent au président de ne pas avoir défini avec assez de clarté les objectifs de la mission en Libye. Après avoir regardé les émissions d'affaires publiques à la télévision américaine hier, Larry Sabato, politologue de l'Université de Virginie, a avoué son incompréhension.

«Je n'ai jamais entendu un tel mélange d'explications et d'assurances aussi faibles et confuses», a-t-il écrit sur son compte Twitter en faisant référence aux propos tenus par les partisans de «l'aventure libyenne», pour reprendre son expression.

Dans plusieurs entrevues télévisées, l'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmées de l'armée américaine, a notamment reconnu hier que l'opération militaire en Libye pourrait déboucher sur une impasse, à savoir le maintien au pouvoir de Mouammar Kadhafi. Barack Obama et sa secrétaire d'État, Hillary Clinton, avaient pourtant déclaré au cours des derniers jours que le dirigeant libyen devait partir.

Interviewé sur CNN, le sénateur républicain d'Arizona, John McCain, a de son côté repris à son compte une critique formulée par plusieurs républicains.

«Il (Barack Obama) a attendu trop longtemps, il n'y a pas de doute dans mon esprit», a-t-il déclaré.

Jusqu'à mardi soir dernier, le président partageait le scepticisme du secrétaire à la Défense, Robert Gates, et de son conseiller pour la sécurité nationale, Tom Donilon, concernant le bien-fondé d'une action militaire en Libye. Il s'inquiétait notamment des retombées d'une telle intervention dans une région où des alliés des États-Unis, dont Barheïn et le Yémen, emploient la violence pour réprimer la contestation populaire.

Barack Obama a cependant fini par se laisser convaincre par les arguments de sa secrétaire d'État, qui comptait parmi ses alliées deux femmes ayant gardé un très mauvais souvenir de l'inaction des États-Unis face au génocide du Rwanda. Il s'agit de l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Susan Rice, qui a été conseillère de Bill Clinton pour l'Afrique, et Samantha Power, membre du Conseil de la sécurité nationale et auteure d'un livre primé, A Problem From Hell, sur la politique étrangère américaine à l'égard des génocides.

«Je veux que les Américains sachent que l'usage de la force n'était pas l'option qui avait notre préférence. Et ce n'est pas une décision que j'ai prise à la légère. Mais nous ne pouvons pas rester les bras ballants quand un tyran dit à son peuple qu'il ne fera pas de quartier», a déclaré le président Obama samedi avant de poursuivre son séjour brésilien.