Contrairement au discours ambiant qui veut qu'on puisse détecter aux États-Unis un futur terroriste à sa barbe ou sa dévotion à la religion musulmane, le processus menant à une radicalisation est complexe et ne souffre pas les clichés, selon un centre américain de recherche.

À la veille de la tenue par la Chambre des représentants américaine d'une audience très controversée sur «la radicalisation de la communauté musulmane», le Brennan Center for Justice, de la New York University, publie un rapport démontant les «conclusions simplistes» qui ont conduit à son organisation par le républicain Peter King.

Intitulé «Repenser la radicalisation», ce rapport fait le point sur la recherche en matière de «terrorisme made in USA» qui affole le pays depuis quelques années alors que plusieurs attentats ont été préparés ou menés à terme par des citoyens nés ou naturalisés américains.

«Une opinion peu étayée, réductrice sur comment les gens deviennent terroristes a gagné une légitimité injustifiée dans certains cercles antiterroristes», constate Faiza Patel, spécialisée dans les libertés civiles des musulmans aux États-Unis, en introduction de son étude.

«Étant donné le caractère fragmentaire et contradictoire des connaissances, un observateur extérieur peut difficilement évaluer qui a raison dans ce discours ambiant», ajoute-t-elle.

Elle cible en particulier le FBI et le NYPD (la police de New York) dont «les théories (...) sont indûment réductrices et contraires aux observations menées par le gouvernement, les experts en sciences sociales et les psychologues».

Pour la police, «la dérive peut être stoppée dès ses débuts par des agents formés pour déceler les bons signes». Or cette théorie du FBI et du NYPD est très populaire dans les couloirs et salles de réunion du Congrès, rappelle-t-elle.

Or, les «signes» qu'ils ont identifiés, comme se laisser pousser la barbe ou s'impliquer dans la vie de la communauté «se retrouvent chez une bonne partie des Américains musulmans», argumente-t-elle.

Comme pour illustrer cette position, le bimensuel d'investigation politique Washington Monthly a assisté à une séance de formation de policiers à la reconnaissance d'une menace terroriste, en Floride.

«Quand vous tombez sur un musulman qui porte un bandeau, quelle que soit la couleur du bandeau, le message en gros, c'est: «je veux être un martyr» », enseigne Sam Kharoba, sans broncher, aux forces de l'ordre.

Et pourtant, rappelle Mme Patel, toutes les connaissances accumulées notamment depuis le 11 septembre 2001, le montrent: «il n'y a pas de personne type qui deviendra un terroriste», pas de moyen de «prédire» l'avenir extrémiste de quelqu'un, et «la pratique de l'islam en elle-même ne conduit pas au terrorisme».

«Il n'y a pas de «trajectoire type» menant à la radicalisation politique (...), la progression ne peut pas être réduite à une série invariable d'étapes de la solidarité vers l'extrémisme», affirme un récent rapport du ministère de la Sécurité intérieure.

Mais une fois théorisés, ces clichés se transforment en méthodes pratiques. Les polices américaines concentrent notamment leurs efforts sur la surveillance de la communauté musulmane dans son ensemble et l'infiltration des mosquées plus particulièrement.

«Il y a un risque que le sentiment que les forces de l'ordre ciblent injustement les musulmans ait un impact négatif sur la volonté de certains membres des communautés musulmanes de coopérer avec la police, notamment le FBI, et de faire savoir dès qu'ils ont un soupçon ou une inquiétude», prévient la spécialiste.