La tuerie de Tucson a de nouveau jeté une lumière crue sur l'omniprésence des armes à feu aux États-Unis et la fréquence de la violence armée dans ce pays. Les Américains sont-ils condamnés à vivre au XXIe siècle comme au temps du Far-West? La Presse a discuté de cette question avec Dennis Henigan, vice-président du Centre Brady pour la prévention de la violence par armes à feu.

Q Que retenez-vous de la réaction des Américains à la tuerie de Tucson?

R Je pense que le pays a vraiment été secoué dans ses fondements par cette horrible fusillade. On assiste au début d'un sérieux questionnement sur l'attitude de notre pays à l'égard des armes à feu. Et ce n'est pas trop tôt. Plusieurs tragédies semblables sont survenues dans le passé sans provoquer un tel questionnement. Mais ici, vous avez parmi les morts et les blessés une parlementaire très respectée, un juge fédéral, une fillette de 9 ans, des gens de toutes les classes. Et je pense les Américains sont horrifiés par cela. Ils sont à la recherche de solutions.

Q Et pourtant, selon les médias, le Congrès ne semble aucunement disposé à adopter la moindre mesure pour restreindre l'accès aux armes à feu. Comment expliquez-vous ce refus?

R Premièrement, les premiers sondages qui ont été publiés après la fusillade démontrent une hausse de l'appui du public en faveur de mesures plus sévères sur les armes à feu. Mais il est regrettable que l'accent soit mis sur ce que le Congrès fera ou ne fera pas plutôt que sur ce qu'il devrait faire. La difficulté à vaincre le lobby des armes à feu a pour effet de figer le débat sur la vraie question, qui est la suivante: pourquoi devrions-nous tolérer des niveaux inacceptables de violence armée dans ce pays? Il n'y a aucune justification rationnelle, par exemple, à la vente de chargeurs de 33 cartouches au grand public. Un tel chargeur a permis au tireur de Tucson de transformer son Glock en arme de destruction massive. C'est particulièrement troublant, surtout que la vente de chargeurs à grande capacité a été interdite pendant 10 ans, soit de 1994 à 2004.

Q Est-ce que le retour de cette interdiction fait partie de vos priorités?

R Oui, à court terme, notre priorité numéro un est de convaincre le Congrès d'interdire à nouveau la vente des chargeurs à grande capacité. À long terme, notre vision est la mise en place d'un système où aucune arme à feu ne sera vendue sans un contrôle des antécédents de l'acheteur. Actuellement, plusieurs États permettent la vente d'armes à feu dans les gun shows (foires aux armes à feu) sans aucune vérification. Nous avons aussi besoin d'un contrôle des antécédents plus serré qui élargirait les catégories de personnes ne pouvant acheter des armes à feu. Et nous voudrions que les pouvoirs du BTF (Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms) soient étendus pour permettre à ses agents de s'attaquer aux vendeurs corrompus. Nous pensons que les ventes multiples d'armes devraient être interdites. Malheureusement, nos dirigeants politiques sont tellement intimidés par le lobby des armes à feu qu'ils sont incapables de servir la population sur la question de la violence armée.

Q Vous faites allusion au lobby des armes à feu. Comment expliquez-vous le succès d'un de ses plus importants représentants, la NRA (National Rifle Association), à Washington?

R La NRA est très bien financée. Elle est en mesure d'engloutir des millions et des millions de dollars dans le système politique américain afin d'influencer l'issue des campagnes électorales. Et ses tactiques sont celles de l'intimidation et de la menace. Elle va directement menacer les politiciens de défaite s'ils adoptent une position qu'elle n'approuve pas, et les politiciens ont très peur de ce genre de menace. Nous croyons de notre côté que le pouvoir réel de la NRA de défaire un candidat est grandement exagéré. Mais la perception est parfois plus importante que la réalité en politique.

Q Le pouvoir de la NRA fait-il partie des mythes auxquels vous faites allusion dans le livre que vous avez fait paraître en 2009, Lethal Logic: Exploding the Myths That Paralyze American Gun Policy?

R La NRA a réussi à communiquer un certain nombre de messages très simples et fondamentaux qui conviennent aux autocollants pour pare-chocs et qui ont réduit l'intensité de l'appui au contrôle des armes à feu. Le premier chapitre de mon livre s'intitule «Guns Don't Kill People, People Kill People», un des slogans de la NRA que l'on a entendus à nouveau après la tuerie de Tucson. Le problème est que ce genre de slogan détourne l'attention du public d'un fait évident: quels que soient les motifs ou les tendances du tireur de Tucson, il n'y aurait pas eu de tuerie si celui-ci n'avait pas été armé d'un Glock au moment de s'approcher la représentante Giffords. Si vous remplacez le Glock par un couteau ou un bâton de baseball, il y aurait peut-être eu une attaque violente mais celle-ci n'aurait pas fait 6 morts et 14 blessés. Cela tombe sous le sens, mais la NRA a réussi à obscurcir ce fait.

Q Comment voyez-vous la performance de Barack Obama sur la question des armes à feu?

R Le Centre Brady lui a accordé la lettre F pour sa gestion de la question lors de la première année de son mandat. Non seulement n'a-t-il démontré aucun leadership sur cette question, mais il a promulgué des mesures qui font que nous sommes moins en sécurité. Nous sommes donc très déçus de la performance de son administration. Mais nous notons un changement depuis les élections de mi-mandat, qui ont mené à la défaite de plusieurs démocrates pro-armes à feu qu'Obama tentait de protéger. Il est devenu clair que le Parti démocrate n'a tiré aucun profit de sa politique d'apaisement à l'égard du lobby des armes à feu.

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Une organisation importante

Le Centre Brady pour la prévention de la violence par armes à feu est la plus importante organisation américaine à militer pour le contrôle des armes à feu au États-Unis. Il doit son nom à Jim Brady, ancien porte-parole de la Maison-Blanche, grièvement blessé lors de la tentative d'assassinat de Ronald Reagan le 31 mars 1981.