Sa camionette est payée. Sa pelouse est coupée. Les outils dans son atelier sont classés. Sa tasse de café fume.

Une petite radio accrochée sur un clou crache les paroles de Rush Limbaugh.

«L'Arizona vient d'adopter une loi intelligente, et les démocrates paniquent! Si les démocrates ont si peur, qu'ils construisent un train rapide jusqu'au Mexique et qu'ils y restent!»

Alfonso L. Moreno sourit. Il montre la radio avec sa main, qui tient sa première cigarette de la journée.

«Limbaugh dit la vérité. Les politiciens sont incapables d'être aussi clairs. Ils prennent toujours des détours inutiles.»

M. Moreno habite depuis 35 ans dans «Little Mexico», immense quartier situé dans la partie ouest de Phoenix. Il classe ses voisins en deux catégories: ceux qui ont le droit de vivre aux États-Unis et ceux qui trichent.

La nouvelle loi sur l'immigration, promulguée la semaine dernière par la gouverneure Jan Brewer, a bousculé les Américains. La loi, qui entrera en vigueur à l'été, oblige les policiers d'Arizona à faire la chasse aux immigrants illégaux dans leurs patrouilles quotidiennes - mais leur interdit de faire du profilage racial.

En clair: les policiers auront besoin d'un motif pour interpeller une personne soupçonnée d'être dans le pays illégalement. Un phare brûlé, par exemple. Ou un passage clouté non respecté.

La loi autorise aussi les citoyens à poursuivre le gouvernement s'ils jugent que celui-ci ne fait pas tout pour arrêter les immigrants clandestins. Une clause inhabituelle, que des critiques voient comme une façon de déclencher des poursuites lucratives pour les avocats anti-immigration et ruineuses pour le trésor public.

Selon M. Moreno, qui vient de prendre sa retraite, la loi est la meilleure nouvelle de l'année. Lui-même latino-américain, il est né aux États-Unis et estime que la partie a assez duré pour ceux qui sont arrivés au pays illégalement.

«Les Mexicains viennent ici et travaillent pour six dollars l'heure. Ils font baisser les salaires. Nous avons un taux de chômage de 10%. Les gens veulent travailler.»

Ancien plâtrier, il dit avoir déjà fait rire de son accent espagnol par des collègues arrivés au pays clandestinement. Le mois dernier, des illégaux ont été évincés d'une maison près de chez lui. Ils sont partis avec les comptoirs, les électroménagers, les éviers, même la thermopompe, dit-il.

«Ces gens-là n'ont pas de respect pour nos lois. Je ne suis pas raciste, je suis moi-même latino. Mais il est temps que ça change.»

«Notre vie est ici»

Cinq hommes discutent près d'un arbre. Les hommes ont dans la quarantaine et portent des jeans et des chandails sales. L'un d'eux a un rosaire au cou - un symbole de sa foi chrétienne et un talisman destiné à faire réfléchir ceux qui seraient tentés de lui lancer des insultes. Les hommes sont dans le pays illégalement. Ils cherchent du travail.

L'homme au rosaire s'appelle Miguel Gutierrez. Il a traversé la frontière il y a 14 ans et habite à Phoenix avec sa femme et leurs deux enfants nés en sol américain. Il vit dans l'ombre, mais participe à la société en travaillant et en payant des impôts, dit-il.

«Nous achetons de la nourriture, des voitures, de l'essence. Nous payons un loyer. Mes enfants vont à l'école. Je n'ai rien au Mexique. Ma vie est ici.»

La nouvelle loi sur l'immigration lui fait peur.

«Nous avons un bon rapport avec les policiers. Tout ça va changer. Si nous voyons un vol ou un accident, nous allons fuir avant l'arrivée de la police. Les gens vont disparaître.»

Le rôle des immigrants illégaux dans l'économie américaine est complexe. La plupart des immigrants de première génération parlent mal anglais, travaillent comme journaliers et gagnent peu d'argent. Toutefois, selon une récente étude de l'Arizona State University, leurs enfants s'intègrent bien à la société américaine, trouvent des emplois mieux rémunérés et paient davantage de taxes et d'impôts.

M. Gutierrez dit ne plus se sentir le bienvenu en Arizona, où il a aidé à construire des centres commerciaux, à aménager des terrassements et à récolter des légumes au fil des ans. Plusieurs de ses amis songent désormais à fuir au Nouveau-Mexique, l'État voisin, où les lois sont plus tolérantes.

«J'ai des amis qui ont essayé de retourner au Mexique l'an dernier. Ils ont réalisé qu'il n'y avait pas d'emplois là-bas, pas d'avenir. Ils sont revenus aux États-Unis», dit-il en riant.

À quelques rues de là, Alfonso L. Moreno insiste pour faire visiter sa propriété bien tenue. Il montre son bateau à moteur et ses cannes à pêche, rangées comme dans les pages d'un magazine. «J'ai fait une bonne vie», dit-il.

M. Moreno écrase sa cigarette sur la chaussée de son entrée de garage. Il ramasse le mégot, et cherche du regard le pot de café vide qu'il utilise comme cendrier.

Comme Latino, craint-il de se faire contrôler par les policiers à l'avenir?

«Mes papiers sont en règle, dit-il. Je n'ai rien à me reprocher. Je n'ai pas à avoir peur.»

Derrière lui, son drapeau américain pend au bout d'un mât dans un ciel bleu acier.