Le juge John Paul Stevens, doyen de la Cour suprême des États-Unis à presque 90 ans, va partir, ouvrant la voie à Barack Obama pour procéder à une deuxième nomination à la plus haute juridiction des États-Unis, a-t-on appris vendredi auprès de l'institution.

«Je quitterai mes fonctions de juge à la Cour suprême (...) au lendemain de la suspension des travaux pour l'été», écrit le juge dans une lettre adressée vendredi au président américain.

Considéré comme le pilier du bloc progressiste à la Cour suprême, le juge avait laissé entendre depuis des mois qu'il pourrait partir dès cet été et la Maison-Blanche semble avoir commencé à lui chercher un successeur. «Si un juge démissionnait de la Cour suprême, nous serions prêts», avait assuré lundi le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs.

Portrait

Doyen prolixe de la Cour suprême américaine et brillant juriste, John Paul Stevens a assis son influence sur l'institution pendant 35 ans, imprimant sa marque sociale et progressiste, notamment dans le débat sur la peine de mort.

Nommé à la plus haute magistrature par le président Gerald Ford en 1975, ce républicain modéré a presque battu le record de longévité de son prédécesseur, William Douglas, qui avait siégé 36 années durant.

Né en 1920 à Chicago, dernier de quatre enfants, John Paul Stevens s'est d'abord lancé dans des études d'anglais, se destinant à l'enseignement comme sa mère. Mais après son enrôlement dans l'armée entre 1942 et 1945, il s'oriente vers le droit.

À sa sortie de la Northwestern University, major de sa promotion, il reçoit de tels éloges pour son esprit vif et équilibré qu'il devient immédiatement le greffier de Wiley Rutledge, juge à la Cour suprême, une fonction prestigieuse chez les jeunes juristes.

John Paul Stevens ouvre en 1951 son propre cabinet d'avocats à Chicago, spécialisé dans le droit commercial. Il est nommé juge à la cour d'appel fédérale de l'Illinois par Nixon en 1970.

Cinq ans plus tard, Gerald Ford s'intéresse à ce juriste dont la compétence et l'intégrité sont applaudies dans tous les milieux politiques. Républicain modéré, il correspond à la volonté d'apaisement du président dans la foulée du scandale du Watergate.

John Paul Stevens devient juge à la Cour suprême à 55 ans, adoubé par le Sénat qui vote à l'unanimité en sa faveur.

Mais contre les attentes du président Ford, il va devenir le pilier de la gauche à la Cour.

Cheveux blancs, lunettes cerclées de noir et noeud papillon, l'homme cultive une sympathique bonhomie qui cache selon les commentateurs des «décisions astucieuses» et des «désaccords féroces».

Au bout de quelques années, il devient maître dans l'art d'exprimer son opposition aux décisions d'une cour qui, il le reconnaît lui-même dans une interview au New York Times en 2007, est devenue en 40 ans de plus en plus conservatrice.

En 35 ans, il aura signé davantage de décisions contestant la majorité qu'aucun autre juge dans l'histoire américaine. De fait, son statut de doyen depuis 1994 lui donne le pouvoir de décider qui parmi ses collègues doit rédiger les décisions majoritaires quand le président de la Cour se trouve dans la minorité, ou minoritaires dans le cas contraire.

Cette position stratégique lui a souvent permis d'influencer les juges modérés de la Cour, qui votent tantôt avec le bloc conservateur, tantôt avec le bloc progressiste, mais aussi de se réserver des occasions de ruer dans les brancards.

Beaucoup sont restées célèbres, comme sa longue contestation en 2000 dans l'affaire opposant George W. Bush à Al Gore sur le recomptage des voix après la présidentielle.

«Bien qu'il soit probable qu'on ne connaisse jamais l'identité du vainqueur de cette élection présidentielle, l'identité du vaincu est évidente. C'est la confiance de la nation envers ses juges», avait écrit M. Stevens.

En 2008, tout en reconnaissant la légalité de l'injection mortelle, il avait estimé qu'«imposer la peine de mort représente la manière la plus absurde et inutile d'éteindre la vie et ne participe que de manière marginale à un quelconque intérêt public et social».

Travailleur infatigable, souriant et calme, il était jusqu'à l'arrivée de Samuel Alito en 2006 le seul à lire lui-même tous les recours déposés devant la Cour, plutôt que les laisser à une équipe de greffiers comme le font ses collègues.

 

e.