Pour la première fois, une infime partie du million et demi de lettres de condoléances envoyées à Jackie Kennedy après l'assassinat de son époux le président américain John Fitzgerald Kennedy en 1963 à Dallas ont été publiées aux États-Unis, livrant le témoignage d'une époque et d'une société.

Le livre Lettres à Jackie: condoléances d'une nation en deuil, publié aux éditions HarperCollins, regroupe plus de 200 lettres de condoléances, sélectionnées par l'historienne Ellen Fitzpatrick parmi les quelque 200 000 pages conservées à la bibliothèque John F. Kennedy à Boston -la plupart des lettres de condoléances ont en effet été détruites.

Les lettres ont été regroupées en trois catégories: les souvenirs du jour de l'assassinat; les points de vue sur la société, la politique et la présidence; et les expériences personnelles de perte et d'affliction.

Certains, comme Larry Toomey d'Upper Darby (Pennsylvanie), n'ont pas attendu l'annonce de la mort de JFK pour prendre leur plume. «Chère Mme Kennedy. Au moment où je vous écris cette lettre, ma main, mon corps tout entier tremblent du terrible incident arrivé cette après-midi. Je regarde le journal télévisé de la chaîne CBS. Aucune déclaration officielle pour le moment», écrit-il.

Deux jours après le sombre 22 novembre 1963, une adolescente, Mary South, décrit sa réaction à l'annonce de l'assassinat par balles du président Kennedy, tandis qu'elle s'apprête à jouer de l'orgue dans l'église de son collège catholique en Californie.

«J'ai essayé de me convaincre que tout irait bien, mais quelque part, je savais que ce ne serait pas le cas (...) Les larmes coulaient sans s'arrêter. Il était difficile de jouer avec les touches un peu humides mais je l'ai fait avec l'espoir que cela aiderait le Président à vivre», raconte-t-elle. Elle recevra une petite carte de remerciement disant que «Mme Kennedy apprécie profondément votre compassion et vous remercie de vos prévenances».

Quarante-sept ans plus tard, Mary South, âgée de 60 ans, se souvient de cette lettre. «Je me suis sentie bien d'avoir fait quelque chose. Je voulais juste qu'elle sache à quel point nous étions en colère et combien nous nous sentions impuissants», explique-t-elle. Quand elle a été contactée pour le livre, elle a pleuré, «c'était comme si j'étais de nouveau en 1963».

Une autre lettre émane d'une fillette de 11 ans, Jane Dryden, qui enverra un message une fois par semaine pendant six mois. «Je sais que vous détestez l'État du Texas. Moi aussi», écrit-elle en janvier 1964 à Austin (Texas). «Je rêverais d'habiter à Washington, où je pourrais peut-être vous voir debout sous votre porche. Je suis bien déterminée à y déménager dès que je pourrai. Je me sentirais plus en sécurité là-bas.»

Pour Ellen Fitzpatrick, professeur d'histoire à l'université du New Hampshire, la découverte de ces lettres a été une heureuse surprise. «J'ai enseigné l'histoire américaine pendant 30 ans et je ne suis pas sûre d'avoir jamais vu une collection aussi forte, qui représente autant les gens ordinaires qui parlent du fond du coeur de leur vision de la société américaine, de la politique, du président».

«Il y a eu beaucoup de livres sur l'assassinat de Kennedy. On a eu la version des experts, on a eu celle des théoriciens de la conspiration, on a eu la version des membres de l'administration Kennedy. Mais, ici ce sont les voix des sans-voix, des Américains de tous les jours», a-t-elle souligné.

«Je suis juste une Américaine ordinaire -une femme au foyer ordinaire, avec une mentalité ordinaire, une maison ordinaire, une famille de taille ordinaire-, juste un an plus jeune que vous et peut-être un peu plus sensible que la moyenne, mais j'aurai toujours une grande tendresse pour vous deux, aussi longtemps que je vivrai», écrit ainsi Marilyn Davenport, de New York, y joignant son numéro de téléphone «au cas où vous auriez le besoin de parler».

À tout juste 15 ans, Barbara Rimer écrivait de son côté: «Je vous promets que je donnerai corps et âme pour perpétuer les véritables idéaux pour lesquels le président Kennedy a vécu». Avec le recul, elle estime aujourd'hui que toute sa carrière dans la santé publique et ses efforts pour encourager les étudiants à s'investir dans la vie publique ont été animés par cette promesse.