Stanley Czyzewksi a une impression de déjà-vu. «Nous revivons le scénario qui a mené à l'élection de Barack Obama. Les gens en ont assez. Ils veulent du changement», dit cet ingénieur à la retraite en brandissant, devant la Massachusetts State House, à Boston, une affiche électorale de Scott Brown.

Scott qui? Scott Brown, élu du Sénat local, est le candidat républicain pour succéder à Washington au défunt sénateur du Massachusetts Edward Kennedy, décédé en août 2009 d'un cancer. Demain, à l'occasion d'une élection partielle, cet avocat et lieutenant-colonel de la garde nationale pourrait bouleverser la politique américaine en remportant le siège que l'icône du Parti démocrate a occupé au Sénat des États-Unis durant 46 ans. 

«Ce serait une des plus grandes surprises de l'histoire politique contemporaine», dit Czyzewski.

En effet, à la veille du premier anniversaire de l'investiture de Barack Obama à la présidence des États-Unis, l'élection de Scott Brown dans un des États les plus démocrates du pays illustrerait de façon spectaculaire le changement d'attitude de l'électorat américain vis-à-vis du locataire de la Maison-Blanche et du parti au pouvoir au Congrès.

Mais il y a plus: une victoire républicaine au Massachusetts pourrait bien couler la réforme du système de santé voulue par Barack Obama et rêvée par Ted Kennedy. Sans compter qu'elle constituerait un très mauvais présage pour les démocrates, qui devront défendre en novembre prochain leurs majorités au Sénat et à la Chambre des représentants à l'occasion des élections de mi-mandat.

Bref, Barack Obama pourrait se retrouver mercredi, un an jour pour jour après son investiture triomphale, au plus bas de sa trajectoire présidentielle.

Le 41e sénateur républicain

Pas étonnant que le président se soit rendu hier au Massachusetts pour faire campagne au côté de la candidate démocrate, Martha Coakley, ministre de la Justice de cet État. Jeudi, il avait laissé entendre que la réforme du système de santé n'était pas le seul élément de son programme qui dépendait du résultat de l'élection partielle. En remportant la victoire, Scott Brown deviendrait le 41e sénateur républicain et pourrait permettre à son parti d'utiliser une manoeuvre parlementaire appelée filibuster pour bloquer l'adoption des réformes démocrates sur la santé, le climat et la finance. La priorité numéro un de Brown est cependant la défaite de la réforme de la santé, comme il le répète dans tous ses discours électoraux.

«Il est clair que l'issue de ces batailles dépendra probablement d'un vote au Sénat, a dit le président Obama aux électeurs du Massachusetts. C'est pourquoi ce qui se produira au Massachusetts mardi est si important.»

Il est tout aussi clair, en écoutant les partisans de Scott Brown, que le programme du président soulève une vive opposition au sein d'un certain électorat. À en juger par les plus récents sondages nationaux, cette opposition ne se limite pas au Massachusetts.

«Je suis tout à fait contre l'idée d'Obama de transférer les détenus de Guantánamo aux États-Unis et de leur donner toutes les garanties de la Constitution américaine», dit Gene Theroux, 58 ans, lors d'une manifestation d'anciens combattants devant la Massachusetts State House. «Je suis contre sa politique sur le climat. Et je suis contre sa réforme du système de santé qui va mener le pays à la banqueroute.»

Une économie «horrible»

La situation économique pèse également dans le jugement que les électeurs du Massachusetts portent sur la première année de Barack Obama à la présidence.

«Ce ne fut pas une bonne année», dit Barbara Gondek, une employée de bureau âgée de 55 ans. «L'économie est horrible. Tout le monde souffre. Les gens perdent leurs emplois, leurs maisons. Je ne voudrais pas être dans les souliers d'Obama. C'est un job très difficile. Il grisonne déjà après seulement une année à la Maison-Blanche.»

Quand on lui dit qu'elle semble sympathiser avec le président, Barbara Gondek hoche la tête de gauche à droite. «Très peu, finit-elle par dire. Je pense qu'il devrait passer plus de temps à Washington plutôt que de voyager d'un bout à l'autre du monde. Il ne semble jamais être à Washington.»

Tous les observateurs s'accordent pour dire que Martha Coakley s'est avérée médiocre comme candidate. Après avoir remporté l'investiture démocrate, début décembre, elle a quasiment arrêté de faire campagne, tenant sa victoire pour acquise.

À l'opposé, Scott Brown n'a pas cessé de sillonner le Massachusetts à bord d'une camionnette, multipliant les rencontres avec les citoyens. Son approche a plu à de nombreux électeurs indépendants, qui constituent la moitié de l'électorat de son État. Ceux-ci semblent également avoir goûté une de ses réparties lors d'un débat télévisé la semaine dernière.

Au modérateur qui venait de parler du «siège de Teddy Kennedy», il a rétorqué: «Ce n'est pas le siège des Kennedy qui est en jeu, ce n'est pas le siège des démocrates, c'est le siège du peuple.»