Depuis la mi-octobre, la plus grande section du Mur de Berlin hors des frontières de l'Allemagne se trouve à Los Angeles, dans le cadre d'un projet artistique qui célèbre au coeur de la mégalopole les 20 ans de la chute du Mur.

Dix pans du mur de béton armé qui a divisé Berlin entre 1961 et 1989 sont arrivés à Los Angeles (Californie, ouest des États-Unis) après un long voyage en bateau, et ont été installés en face du Musée d'art du comté de Los Angeles (LACMA), le long du Wilshire Boulevard, l'un des principaux axes de circulation de la ville.

Acquis par le musée Wende, qui rassemble dans ses collections archives, oeuvres d'art et objets en relation avec la guerre froide en Europe de l'Est, les dix pans de 2,6 tonnes chacun ont été livrés dès leur installation aux pinceaux et bombes de peinture de quatre artistes.

Les organisateurs veulent ainsi reproduire à Los Angeles -- jumelée depuis 42 ans avec Berlin -- le geste subversif qui avait animé les premiers peintres du mur. Du côté ouest de la ville, ils défiaient les soldats est-allemands postés de l'autre côté sur des miradors, le long de la muraille de 3,6 mètres de haut et 106 kilomètres de long.

Thierry Noir, artiste français installé à Berlin-Ouest en 1982, fut l'un des premiers à peindre le «vrai» mur. À l'invitation du musée Wende, il a fait le voyage de la capitale allemande à Los Angeles pour «entretenir la mémoire», déclare-t-il à l'AFP.

Sous le regard intrigué des passants, il a peint à Los Angeles la figure qui l'a rendu célèbre et qu'il a tant de fois reproduite à Berlin-Ouest jusqu'à la chute du mur, le 9 novembre 1989: un visage stylisé et allongé, de profil, avec de grosses lèvres et un oeil rond.

«J'avais choisi cette image car elle était rapide à réaliser», explique-t-il. «Comme on finissait toujours par être repérés, il fallait faire vite. Et je n'utilisais que deux ou trois couleurs pour ne pas avoir à porter trop de pots de peinture».

Il se souvient encore de la phrase, aboyée depuis les miradors côté est-allemand, lorsqu'il était surpris au pied du mur, pinceaux en main: «Citoyen de Berlin-Ouest, retournez immédiatement dans votre zone».

«Mais les derniers mois avant la chute du mur, nous tenions notre revanche», affirme-t-il. «Le mur était percé par endroits et nous allions peindre de l'autre côté. Les soldats (est-allemands) enrageaient car ils avaient reçu l'ordre de ne plus tirer», raconte-t-il.

Pour Justinian Jampol, président du Wende Museum et instigateur du «Wall Project» (Projet du Mur), le Mur de Berlin est devenu une «toile blanche».

«C'est un symbole international, ce n'est même plus un mur. Les gens ont tous leur propre idée de ce qu'il représente», déclare-t-il à l'AFP. «Parfois c'est le mur de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, parfois c'est un mur en Israël, parfois c'est un mur psychologique», dit-il.

Farrah Karapetian, autre artiste associée au projet, estime elle aussi que «nous avons tous un mur chez nous».

«Los Angeles, par exemple, a un réseau effrayant d'autoroutes qui coupe toute la ville et permet d'éviter complètement certains quartiers. C'est un mur de classes», relève-t-elle.

Un autre mur -- faux celui-là -- est en cours de «graffitage» dans le cadre du «Wall project». Le 8 novembre au soir, il sera installé en travers du Wilshire Boulevard et coupera la circulation d'Est en Ouest pendant quelques heures, durant lesquelles la chanteuse allemande Ute Lemper offrira un concert.

Ce mur sera ensuite démoli et les morceaux seront vendus au profit du Musée Wende.