Les deux ambassadeurs américains à Ottawa nommés par George W. Bush ne faisaient pas toujours dans la dentelle. Paul Cellucci et David Wilkins n'ont jamais hésité à casser du sucre sur le dos des leaders politiques canadiens.

En poste depuis la semaine dernière, le nouvel ambassadeur des États-Unis, David Jacobson, promet pour sa part une relation constructive. Le mot d'ordre de cet ami personnel de Barack Obama: chercher un terrain d'entente lorsqu'il y a des différends.

 

M. Jacobson était de passage cette semaine à Montréal. Il a entamé, avec cette visite du Québec, un périple de six semaines dans les dix provinces canadiennes. Il nous a accordé une entrevue exclusive. Le changement de ton à Washington va-t-il aussi se refléter à Ottawa?

Q: La Presse: Quel rôle Barack Obama souhaite-t-il vous voir jouer au Canada?

R: David Jacobson: Je pense que je vais avant tout tenter de transmettre le message d'espoir et de changement du président aux Canadiens. Il y a bien sûr plusieurs moyens de le faire, mais je pense que l'aspect le plus fondamental de mon travail, c'est ça.

Q: Vous n'êtes pas issu du milieu de la diplomatie. Quel est selon vous le rôle d'un ambassadeur?

R: Une de mes responsabilités est d'expliquer au gouvernement canadien - et, plus important encore, au peuple canadien - les prises de position de mon pays et de son gouvernement. Et je pense que mon expérience d'avocat sera très importante à ce chapitre.

Une autre est de tenter de comprendre le mieux possible ce que les Canadiens et leurs leaders pensent pour ensuite tenter de l'expliquer à Washington. Enfin, ma responsabilité est de me lever le matin et de me coucher le soir en pensant à la relation entre les États-Unis et le Canada dans son ensemble.

Q: La façon dont vos prédécesseurs concevaient leur rôle en a choqué plus d'un au Canada. Paul Cellucci avait par exemple dit être déçu et choqué que le Canada ne déclare pas la guerre à l'Irak. David Wilkins a pour sa part critiqué le premier ministre Paul Martin, quand celui-ci a reproché aux États-Unis de ne pas avoir signé le protocole de Kyoto. Doit-on s'attendre à ce que vous critiquiez vous aussi le premier ministre du Canada?

R: Il y a des moments, au cours d'une relation, où vous n'arrivez pas à vous mettre d'accord sur tout. C'est inévitable lorsqu'on parle de deux pays souverains et d'une relation aussi profonde et complexe que celle entre le Canada et les États-Unis. J'aimerais croire, cependant, que nous pouvons aborder ces différends d'une manière constructive.

Q: Doit-on comprendre que vous allez probablement faire preuve de plus de circonspection que vos prédécesseurs?

R: Mes deux prédécesseurs étaient de bons employés du service public et ont fait du bon travail. Je ne vais les critiquer d'aucune façon. Je ne connais pas les faits et les circonstances qui les ont poussés à dire ce qu'ils ont dit. Tout ce que je peux vous offrir, c'est ma vision des choses. Et je pense que ce que j'ai appris à ce sujet, je le tiens du président. C'est que vous devez toujours tenter de trouver un terrain d'entente dans toute relation.

Q: Parlons maintenant des enjeux les plus importants. La semaine dernière, des journalistes ont affirmé qu'une entente qui exclurait le Canada de la clause Buy American (qui se trouve dans le plan de relance économique du gouvernement des États-Unis) serait imminente...

R: Je ne sais pas où le journaliste a obtenu ses informations, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas d'entente pour l'instant. Il y a eu plusieurs discussions dans ce dossier et les deux parties ont dit que les pourparlers étaient constructifs. Je peux maintenant participer à ces discussions et j'ai l'intention de les faciliter. J'ai espoir que nous pourrons trouver une solution.

Q: L'Afghanistan pourrait être l'enjeu le plus important de votre mandat. Jusqu'ici, votre président a été trop diplomate pour nous demander de prolonger notre mission (au-delà de 2011) dans ce pays. Allez-vous le faire à sa place?

R: Je vais vous dire la même chose que ce que le président a dit quand il a rencontré le premier ministre Harper à Washington. Nous veillons avant tout à ce que les troupes canadiennes et américaines en Afghanistan travaillent de la façon la plus efficace possible pour atteindre nos buts communs en 2009 et en 2010.

Q: Barack Obama vient d'obtenir le prix Nobel de la paix «pour ses efforts extraordinaires en vue de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples». Vous êtes l'un de ses amis. Qu'est-ce qui le motive? Qu'est-ce qui est à la source de ses efforts?

R: En premier lieu, son idée centrale selon laquelle vous devez respecter les autres et tenter de les traiter avec le même respect et la même dignité avec lesquels vous voudriez qu'on vous traite. Ensuite, son principe de base: nous devons mettre l'accent sur les choses qui nous unissent plutôt que sur celles qui nous divisent.

Q: Le prix signifie par-dessus tout qu'on approuve sa politique étrangère. Vous contribuez à cette politique. Ne croyez-vous pas que les attentes seront dorénavant trop élevées?

R: Il fait face à des problèmes et à des choix extrêmement difficiles, mais je ne pense pas que les attentes des gens vont devenir irréalistes. Les défis qu'il devra surmonter, comme il l'a dit souvent, sont complexes. Et je ne pense pas que le prix Nobel va les rendre plus faciles ou plus difficiles à surmonter.