Un scénariste hollywoodien pourrait trouver à Standish, petite ville du Michigan située sur les rives du lac Huron, la matière à une version très américaine de La grande séduction.

Les quelque 1500 habitants de cette communauté ne sont pas désespérément à la recherche d'un médecin, comme ceux de la bourgade du film québécois. Ils ont plutôt un urgent besoin de détenus.

Le plus important employeur de Standish est une prison de haute sécurité construite en 1990 pour accueillir les pires criminels de l'État. Or, ce centre de détention doit fermer ses portes le 1er octobre, faute de prisonniers en nombre suffisant.

D'où la cour pressante que font les responsables municipaux aux autorités fédérales pour les convaincre de transférer chez eux des détenus de la prison de Guantánamo, dont le président américain Barack Obama a ordonné la fermeture d'ici le 22 janvier 2010.

«Si une ville américaine doit tirer profit de l'accueil de ces détenus, je voudrais que ce soit la mienne», indique le maire de Standish, Kevin King, qui se dit convaincu d'exprimer l'opinion d'une majorité de ses concitoyens sur ce sujet.

Mais les opposants au transfert de détenus de Guantánamo à Standish parlent fort et évoquent les pires scénarios.

«Rien ne pourra empêcher un allié des terroristes de menacer de faire sauter l'école secondaire durant une partie de basketball afin d'obtenir la libération de ses compagnons», lance Paul Piche, un des gardiens de la prison de Standish. «Nous voulons des touristes, pas des terroristes», ajoute-t-il.

Un impact dévastateur

Disons que les touristes ne sont guère nombreux ces temps-ci à Standish, dont l'un des deux motels est carrément miteux. Sur l'artère principale de la ville - une route à quatre voies le long de laquelle les piétons ne s'aventurent pas -, les magasins à un dollar côtoient les McDonald's, Taco Bell et autres fleurons de la restauration rapide et du commerce bon marché.

Dans le secteur résidentiel de la municipalité, des affiches «À vendre» se dressent devant plusieurs maisons, dont certaines ont été saisies. Le tableau permet de mieux comprendre la réaction favorable des responsables municipaux à la possibilité de sauver la prison locale en y accueillant des détenus de Guantánamo, dont certains sont accusés d'avoir participé au complot terroriste du 11 septembre 2001.

«Nous voyons la situation d'un point de vue purement économique», dit le directeur de la municipalité, Michael Moran.

«La prison emploie plus de 300 personnes dans une ville où le taux de chômage dépasse 17%. De son côté, la municipalité a un contrat de service pour l'eau et les égouts avec la prison qui lui rapporte 36 000 $ par mois, soit 33% de son budget. Si la prison ferme, tout cela disparaîtra. L'impact sur les finances et l'économie de la municipalité serait dévastateur.»

Le centre de détention de Standish n'est pas l'unique lieu envisagé par les autorités fédérales pour le transfert de détenus de Guantánamo. La prison militaire de Fort Leavenworth, au Kansas, fait également partie des options à l'étude, mais cette solution ne semble pas avoir de partisans parmi les élus et les citoyens de cet État.

Favorables ou résignés

Aucun sondage scientifique n'a été mené auprès de la population de Standish pour mesurer l'appui réel au transfert de détenus de Guantánamo dans la prison locale, qui se trouve aux abords de la ville. Cependant, après avoir parlé à plusieurs citoyens, on est porté à croire que la plupart d'entre eux sont favorables à cette éventualité ou s'y résignent.

«J'étais en faveur de la construction de la prison il y a 20 ans et je suis pour qu'elle reste ouverte, dit Ruth Caldwell, propriétaire d'une boutique de cadeaux. Et si elle doit accueillir des détenus de Guantánamo pour rester ouverte, eh bien, qu'il en soit ainsi. En tant que contribuable et propriétaire d'un commerce, je sais que nous avons besoin de cette prison.»

La nouvelle vocation du centre de détention de Standish risquerait de bouleverser la vie professionnelle de Ronald Schwab, dont la clinique vétérinaire se trouve à moins d'un demi-kilomètre de la prison de Standish. Selon la rumeur, le vétérinaire et ses voisins immédiats, dont deux garderies et un salon de coiffure pour dames, pourraient être expropriés par le ministère de la Défense, qui voudrait élargir la zone sécuritaire autour de la prison.

Mais cette possibilité ne provoque pas plus qu'un haussement d'épaules chez le vétérinaire.

«Je pense que plusieurs personnes sont aussi résignées que je le suis, dit-il entre deux consultations. Le gouvernement fédéral peut faire ce qu'il veut. Cela dit, nous avons dépensé une somme astronomique pour construire cette prison. Ce serait scandaleux de la fermer après seulement 19 ans.»

Les opposants au transfert de détenus de Guantánamo à Standish ont eu l'occasion de se faire entendre le 20 août à l'occasion d'une réunion publique organisée par un représentant républicain du Michigan, Peter Hoekstra, qui fait campagne pour devenir gouverneur de l'État.

David Munson est au nombre des citoyens de Standish qui ont été convaincus par les arguments du républicain, qui est opposé, comme plusieurs élus de son parti, à tout transfert de détenus de Guantánamo en sol américain.

«Ils sont différents des prisonniers que nous avons ici, dit Munson, propriétaire d'un bar. Ils veulent tuer le plus grand nombre d'Américains possible. S'ils viennent ici, Standish deviendra une cible facile.»

Les gardiens de la prison de Standish tiennent le même discours. Il faut dire qu'un changement de vocation du centre de détention signifierait probablement pour les plus âgés d'entre eux une mutation dans une autre ville et un licenciement pour les plus jeunes. Les plus âgés comme les plus jeunes seraient remplacés par des centaines de militaires qui vivraient avec leurs familles parmi la population civile de Standish.

Mais le discours de la peur semble avoir un impact limité.

«J'ai l'impression de revivre le même débat qui a précédé l'ouverture de la prison», dit Elyse Sanford, dont le salon de coiffure avoisine le centre de détention. «On avait tenté de nous faire peur avec des scénarios qui ne se sont jamais réalisés.»