Deux semaines plus tard, la pointe de Tina Brown, ex-rédactrice en chef du New Yorker, continue de susciter des commentaires à Washington. «Il est temps que Barack Obama permette à Hillary Clinton d'enlever sa burqa», a-t-elle écrit, déplorant la prétendue invisibilité de la secrétaire d'État américaine lors des six premiers mois de la présidence de son ancien rival politique.

Si la pertinence de l'image utilisée par Brown est encore débattue, il n'en va pas de même, en revanche, de la substance de sa critique. Au cours des deux dernières semaines, Hillary Clinton a employé les grands moyens pour attirer sur elle les projecteurs, commençant par un discours majeur à Washington sur les priorités du département d'État et enchaînant avec une série d'activités - visites à l'étranger, entrevues télévisées et discussions sino-américaines - qui lui ont valu plusieurs manchettes.

«Les États-Unis sont de retour», a répété Hillary Clinton à chaque étape de son voyage en Asie du Sud-Est.

La chef de la diplomatie américaine faisait référence à la volonté de l'administration Obama de ne pas laisser à la Chine le monopole de l'influence stratégique dans une région que George W. Bush aurait trop négligée.

Mais elle aurait également pu parler d'elle-même.

Une blessure et des rumeurs

Victime d'une fracture du coude - elle a fait une chute, à la mi-juin, alors qu'elle marchait vers sa voiture au sous-sol de l'immeuble du département d'État -, Hillary Clinton a dû ralentir le rythme de ses activités durant un mois. Elle a ainsi dû annuler plusieurs rendez-vous importants, dont le sommet États-Unis-Russie à Moscou et la réunion ministérielle du G8 à Trieste, en Italie.

Ces absences ont alimenté les rumeurs voulant que la secrétaire d'État ait été réduite à jouer un rôle secondaire dans l'élaboration et l'exécution de la politique étrangère de l'administration Obama. Selon un refrain déjà entendu, Hillary Clinton ne doit pas seulement composer avec un président populaire qui lui fait de l'ombre à l'étranger en multipliant les tournées et les discours, mais également avec des émissaires de haut niveau, comme George Mitchell, chargé du Proche-Orient, et Richard Holbrooke, responsable de l'Afghanistan et du Pakistan.

Toujours selon ce refrain, l'influence de la secrétaire d'État a également été réduite après qu'un de ses lieutenants, Dennis Ross, eut été muté à la Maison-Blanche, où il conseille désormais le président dans le dossier iranien.

À en croire une commentatrice comme Tina Brown, Barack Obama aurait ainsi réussi à isoler son ancienne rivale, qui doit regretter aujourd'hui le piège que lui a tendu le président. Mais la réalité est tout autre, selon Richard Murphy, expert au Middle East Institute.

Coriace et expérimentée

«Hillary Clinton est très enthousiaste à propos de son rôle», déclare Murphy en entrevue. «C'est une femme d'une grande énergie et d'une grande habileté. Et elle se dévoue totalement à sa tâche.»

Secrétaire d'État adjoint pour les affaires du Proche-Orient entre 1983 et 1989, Richard Murphy estime que Clinton a réussi jusqu'à présent à suivre scrupuleusement les lignes directrices de la politique étrangère de Barack Obama, notamment en ce qui a trait à la question du gel total des activités de colonisation en Cisjordanie. Il en va du succès de son mandat à titre de chef de la diplomatie américaine, selon lui.

«Il n'y a rien qui pourrait détruire davantage l'efficacité d'un secrétaire d'État que de laisser voir aux dirigeants étrangers qu'il y a des différences d'opinions entre le président et le secrétaire d'État, explique Murphy. C'est ce qui a nui à Colin Powell. Il y avait des rivalités au sein de l'administration Bush qui ont affaibli sa position.»

Rompue aux batailles bureaucratiques de Washington, Hillary Clinton devrait également savoir s'imposer auprès des autres acteurs importants de la politique étrangère des États-Unis, dont Holbrooke et Ross, qui sont reconnus pour leur indépendance.

«On a en la personne d'Hillary Clinton une secrétaire d'État très coriace, très disciplinée et très expérimentée, dit Richard Murphy. Ses années à la Maison-Blanche et au Sénat lui ont donné une vaste connaissance des rouages de l'État et des jeux de pouvoir.»

De son côté, l'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger a avoué au New York Times ne pas se souvenir d'une époque où les relations entre le département d'État et la Maison-Blanche étaient plus harmonieuses.

Les critères du succès

Mais Hillary Clinton ne pourra se contenter de survivre aux batailles bureaucratiques de Washington, selon Aaron David Miller, du centre de recherche Woodrow Wilson, qui a servi sous six secrétaires d'État.

«Les secrétaires d'État les plus importants ont été associés à de grandes idées, à des crises difficiles et à des percées diplomatiques qu'ils ont orchestrées. Par définition, les secrétaires d'État efficaces gèrent des crises et règlent de grands problèmes. Au bout du compte, Hillary Clinton sera jugée selon ces critères», soutient Miller.

Ce n'est évidemment pas les grands problèmes qui manquent. Hillary Clinton les a tous abordés depuis son retour à l'avant-scène, des ambitions nucléaires de la Corée du Nord et de l'Iran au conflit israélo-palestinien, en passant par la lutte contre les talibans au Pakistan et en Afghanistan.

La secrétaire d'État a également tenté d'ouvrir un nouveau chapitre dans les relations des États-Unis avec l'Inde, où elle a fait une visite de trois jours, et avec la Chine, dont plusieurs dirigeants ont participé à une rencontre de deux jours à Washington cette semaine.

L'idée qu'elle se soit laissé imposer une burqa, même métaphorique, semble plus insultante que jamais.